François Mauriac
Un régime dont la liberté est le principe se renie lui-même s’il la refuse à ceux qui le combattent. Il n’en a pas moins pour premier devoir de la protéger, cette liberté, contre ses ennemis éternels. Voilà le cas de conscience dans lequel se débattent, chaque jour, les chefs d’une démocratie. Ils sont pris dans ce dilemme: attenter à la liberté de l’adversaire ou laisser l’adversaire étrangler la liberté. Il faut que la République fraie sa route dans l’entre-deux.
Si encore elle avait affaire à des ennemis démasqués! Mais les révolutionnaires, aujourd’hui, sont d’une espèce étrange: ils se piquent de demeurer dans la légalité malgré leur intention hautement déclarée de détruire la démocratie. Leur entreprise, menée à ciel ouvert et sans aucune vergogne, vise à mettre le pays sous la coupe d’une minorité de citoyens.
Il est difficile de gouverner les hommes d’une même nation en tenant compte de leurs avis, lorsque ces avis s’opposent furieusement sur tous les points, et en les laissant non seulement penser mais écrire et faire tout ce que la haine de la démocratie leur inspire. Et c’est pourtant cela, notre régime, et je voudrais qu’on m’en indique un autre qui ait donné des fruits moins amers.
François Mauriac, Les difficultés de la République / extraits, dans: Journal – Mémoires politiques (coll. Bouquins/Laffont, 2008)
image: Assemblée Nationale, Paris / France (m.artabsolument.com)