Morceaux choisis – 1119 / Patrick Chauvet

Patrick Chauvet

On nous a présenté Thérèse comme le petit ange, fleur bleue de la piété qu’elle fut pour son entourage. L’autre portrait, c’est l’être accablé par la vie, précurseur de l’existence absurde qu’elle est pour certains romanciers comme Camus. Nous le savons bien, Thérèse ne se réduit ni à la piété ni à l’existentialisme. Pour la comprendre, il faut un peu de la folie de l’espérance. Thérèse peut faire peur. Je pense à ce mot de Georges Bernanos: J’ai vu mourir un saint, moi qui vous parle, et ce n’est pas ce qu’on imagine. Il faut tenir là-devant; on sent craquer l’armure de l’âme, et il avait comme livre de chevet le volume des dernières paroles de Thérèse.

Rappelez-vous ces paroles de Thérèse prononcées trois mois avant de mourir: Avance, avance, réjouis-toi de la mort qui te donnera non ce que tu espères, mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant… J’ai peur d’en avoir trop dit. Thérèse entre dans la certitude de sa mort prochaine; et c’est le moment où elle livre le principal message de sa vie. C’est le cri de l’espérance contre toute espérance. Thérèse réinvente cette petite voie que nous venons d’évoquer: faire confiance jusqu’au bout de la nuit; suivre le Christ, dire oui jusqu’au bout parce qu’on est sûr d’être aimé.

Rien d’exalté en elle! Pas d’illusion! Thérèse ne s’enfuit pas. La peur est là, mais elle ne s’y arrête pas. Quel est alors son secret? La confiance et l’abandon. Thérèse a vécu et compris le retournement de l’espérance: être chrétien, cela ne veut pas dire d’abord être quelqu’un de bien, mais, à cause de sa faiblesse, apprendre à s’en remettre à un Autre, apprendre à changer de point d’appui, apprendre à s’offrir à Dieu.

Ma folie à moi, c’est d’espérer, dit Thérèse, c’est-à-dire de s’abandonner. L’abandon est l’attitude spirituelle de ceux qui se savent aimés parce qu’ils n’ont plus rien. Thérèse est sûre d’être aimée, parce qu’elle n’a plus aucun appui en elle-même pour espérer. Mieux, elle espère, parce qu’elle est sans espérance.

Oh! Il ne s’agit pas de souffrir ou de ne pas souffrir, mais de garder la douceur de l’amour, la paix de l’amour à travers tout. Si Jésus a été crucifié, ce n’est pas pour faire de nous des crucifiés, c’est pour faire de nous des enfants bien-aimés du Père. Une expression qui résume l’une de ses convictions intimes: Jésus vient mendier notre amour, et Thérèse n’ambitionne pas d’autre récompense que celle de faire plaisir à Jésus: Je ne Lui ai donné que de l’amour, alors Il me rend de l’amour. Et ce n’est pas fini. Il m’en rendra davantage bientôt.

Nous revoici au coeur de l’acte d’offrande. Le moyen de parvenir à la sainteté, c’est de se livrer avec confiance au feu de l’Amour miséricordieux pour y être consumé.

Patrick Chauvet, Georges Bernanos – Un prophète pour notre temps / extraits (Presses de la Renaissance, 2020)

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