Erri de Luca
Quand on est vierge, on pense que toutes les amours sont possibles, puis brusquement un amour efface les autres jamais venus. Devenir femme apporte cette simplification, un vent qui s’abat sur une floraison et ne laisse qu’une seule fleur. Toute l’immensité d’avant bascule dans une étreinte. Moi, je n’ai même pas eu ça: au lieu des baisers de Josef sur mes yeux, un jet de paroles dans les oreilles.
Ainsi suis-je restée vierge et pourtant épouse, vierge et pourtant mère. La force qui m’a immobilisée pendant qu’il me travaillait est puissante. C’est ce qui arrive au pot qui roule entre les mains du potier: je restais argile mais creusée, faite pour contenir. La grossesse a été un temps de perfection à l’ombre, la durée d’un séchage. Me voici prête, argile avec une âme de fer, les pierres qu’on voulait me lancer se sont brisées.
Erri de Luca, Au nom de la mère (coll. Folio/Gallimard, 2023)
image: attribué à Giorgione, Madonna leggente, 1505 (preghiamo.org)