François Mauriac
Cette petite fille inconnue qui agonise au fond d’un Carmel, dans une sous-préfecture de France, sait déjà qu’elle a conquis le monde. Elle conseille à ses soeurs de garder avec soin chaque pétale d’une rose qu’elle effeuille. Elle a ce mot fou d’orgueil, en apparence, et qui est le cri d’une créature confondue en Dieu à force d’amour, à la lettre, déifiée: Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre… Non! Je ne pourrai prendre aucun repos jusqu’à la fin du monde.
Thérèse est venue en ce monde enseigner au plus modeste des fidèles, au plus obscur, prisonnier d’une vie insignifiante et plate, qu’il lui appartient de reculer jusqu’à l’infini les frontières de l’amour humain. Car elle a connu l’amour, cette petite Thérèse: prise dans des bras? non, mais dans des serres déchirantes. C’est toi, disait-elle, l’Aigle que j’aime et qui m’attire… Aussi longtemps que tu le voudras, je demeurerai les yeux fixés sur Toi, je veux être fascinée par ton regard…
L’Eglise nous met sous la protection d’une petite fille consumée, d’une petite fille méprisée des grands et des superbes, mais dont le nom est invoqué et chéri dans tous les foyers catholiques du monde; elle nous confie à cette fille de la bourgeoisie française, à cette jeune fille de chez nous, pour laquelle, même au ciel, il n’existe pas de repos.
François Mauriac, Thérèse de France / extraits, dans: Journal – Mémoires politiques (coll. Bouquins/Laffont, 2008)
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