Jean-François Duval
Comme moi, vous l’avez remarqué: à notre époque, les habitudes ont mauvaise presse… Associées à la routine, à la monotonie, à l’ennui, elles seraient le plus sûr moyen d’anesthésier notre propension à vivre pleinement. Une vie digne d’intérêt ne saurait être que source vive, dont l’eau se renouvelle à chaque seconde. Vivons sur l’exemple irrésistible des merveilleux et clairs torrents de montagne!
Je me demande donc pourquoi me séduisent certaines images qui traduisent le pouvoir de l’habitude. Par exemple celles de Sherlock Holmes ou du professeur Mortimer, bourrant chacun leur pipe, puis en tirant quelques bouffées, celle d’Hercule Poirot lissant ses moustaches. Même l’image de Sisyphe roulant journellement sa pierre vers des sommets a quelque chose de rassurant.
Les habitudes, même les pires, ne sont-elles pas ce qui fait le charme, le caractère d’un personnage, d’un comportement? Ce que nous percevons en elles, c’est quelque chose de familier, de chaleureux, bref le signe que certains êtres sont dotés d’un univers propre et qu’ils sont capables, à chaque instant, de le ranimer à volonté. Rien n’est plus sympathique à observer que certaines habitudes: on a l’impression de voir quelqu’un vivre de sa vie propre, là, devant ses yeux.
Et puis en tout, il nous faut une dose d’éternel retour. Prenez les baisers de l’être aimé. Un seul et unique baiser vous suffirait-il? Finalement, une habitude, n’est-ce pas aussi une façon de savoir apprécier et réapprécier chaque instant, quand bien même nos existences sont répétitives et lassantes en apparence? Songez-y: dans un monde sans habitudes, aucun moment de nos vies ne ressemblerait au précédent, absolument aucun – l’enfer, à la longue!
D’ailleurs , je me demande où est la frontière entre ce qui se renouvelle et ce qui se répète, et même si elle existe. Ne serait-ce pas les deux faces d’une même pièce? Voyez un gosse qui se propulse sur une balançoire! Le plaisir du même et du différent, dans un seul mouvement. Une habitude, au fond, quelle qu’elle soit, est toujours de l’ordre de la résurrection. Une façon de ressusciter à la saveur de la vie, d’en ranimer la flamme exactement comme on ranime celle du tabac au creux de sa pipe…
Jean-François Duval, Bref aperçu des âges de la vie / extrait (Michalon, 2017)
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