Morceaux choisis – 1160 / Marc Pernot

Marc Pernot

La parole est un couteau à double tranchant, la parole est un feu nous dit la Bible: une parole peut viser à opprimer son interlocuteur. On comprend la logique de ceux qui utilisent des moyens malhonnêtes pour opprimer les autres, cela fait un tout bien harmonisé entre les moyens et les buts. Seulement, il n’y a pas que pour les mauvaises causes que la manipulation est utilisée. Il arrive que ceux qui défendent une magnifique cause se sentent justifiés par la beauté ou même par la sainteté du but pour employer des moyens de manipulation. Cette pente est si naturelle qu’aucune Eglise, aucune noble cause n’est totalement immunisée. C’est comme une brèche dans la structure même de notre existence, dans celle de nos relations entre nous et de notre foi. Jésus, lui, conseille: Que votre parole soit oui si c’est oui, non si c’est non. Ce qui est en plus vient du Mauvais (Mt 5, 37).

En tant que personne chrétienne et en tant qu’Eglise, nous avons une responsabilité dans ce monde, tout particulièrement en des temps où la post-vérité se banalise comme méthode de propagande décomplexée. Que faire? Jésus cherche à faire observer, entendre et penser par soi-même, Il cherche à complexifier les modèles quitte à leur embrouiller la tête et leur donner mal au crâne comme les apôtres s’en plaignent.

Il convient d’ouvrir les yeux ensemble sur les cas particuliers, sur les limites des modèles, croiser les points de vue, essayer d’entendre et de comprendre à nouveaux frais. C’est avec d’autres que nous pouvons exercer notre ouverture aux nuances et à une saine complexité. La question n’est donc pas d’être de la même opinion que les autres en Eglise, ou avec ses amis, son conjoint. L’intérêt est de discerner les simplifications qui sont aussi dangereuses que les plus gros mensonges.

Ce n’est pas confortable et c’est passionnant, comme un voyage peut l’être. C’est vivable grâce à deux réalités essentielles mise en valeur par le Christ dans l’Évangile: notre dignité et notre vie nous ont déjà été données, elles nous sont acquises. Nous sommes déjà enfants de Dieu: rien de moins. Cela est très utile pour commencer à vivre avec hardiesse et humilité. C’est très utile aussi pour ne pas trop se laisser manipuler. Car il y a deux ressorts puissants que la propagande cherche à faire jouer: l’estime de soi et la peur.

Notre recherche d’être quelqu’un de bien est une bonne motivation. Elle est un appel à la vie, puissant, fondamental, viscéral, mais cette force peut devenir en nous un serpent qui parle et nous amène dans un orgueil fou. Il suffit parfois d’une parole de grâce, de se savoir aimé et donc aimable pour cesser de s’aliéner à celui qui joue avec ce ressort en nous disant: tu es de la race supérieure.

Le deuxième ressort puissant est la peur qu’utilisent si bien les propagandistes: hors de mon programme c’est la fin du monde, hors de ma chapelle c’est l’enfer éternel: prenez-donc sur votre dos ce fardeau, sacrifiez votre intelligence à la pure vérité sinon je ne réponds de rien! Au contraire, le Christ nous dit: Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos (Mat 11, 28).

Tel est notre bouclier et notre aiguillon.

Marc Pernot, Le prophète manipulateur et l’incompréhensible Jésus / extraits (marcpernot.net)

image: Marc Pernot (reformes.ch)

Auteur/autrice

Partager sur:

Dernières publications