Alexandre Jollien
Le combat et la joie qui surgissent d’une blessure assumée au quotidien invitent à recommencer sans cesse, à renouveler l’effort, à se remettre en marche et à bâtir sur la faiblesse. Bien des fois, on l’espère vaincue. On veut se hâter et tourner la page. Mais les plaies reparaissent et traversent l’existence. Et je dois me battre contre l’esprit de pesanteur. Cette gangrène intérieure voudrait suivre des modèles… se cramponner aux fausses certitudes, prétendre tout maîtriser pour éviter la crainte qu’inspire cet éternel combat.
Sacré métier d’homme. Je dois être capable de combattre joyeusement sans jamais perdre de vue ma vulnérabilité ni l’extrême précarité de ma condition. Je dois inventer chacun de mes pas et, fort de ma faiblesse, tout mettre en oeuvre pour trouver les ressources d’une lutte qui, je le pressens bien, me dépasse sans toutefois m’anéantir.
Les esprits valent selon ce qu’ils exigent. Je vaux ce que je veux! Paul Valéry vient ici à la rescousse en rappelant l’importance de la volonté. La volonté maintient le cap, elle donne la force pour développer de nouvelles stratégies, bref elle interdit d’abdiquer. Sans elle, ni combat ni victoire, l’affaire est entendue! Pourtant, les difficultés ne disparaissent guère, loin s’en faut. Les blessures accumulées épuisent et me trouvent souvent désemparé et désarmé. Sollicitée à l’extrême, la volonté s’étiole, risque de mourir. Vorace, elle cesse – sans nourriture – d’être motrice. Exigence redoutable, pénible routine, il faut lutter, toujours.
Le tragique de l’existence rappelle qu’il faut célébrer les occasions de jubiler et de faire jubiler. Offrir la joie là où s’imposent d’aventure la pitié et la tristesse. Lutter pour la vie, ne pas macérer dans le mépris. S’appuyer sur les mille petites joies de notre condition. Le métier d’homme, sujet grave, austère parfois, réclame donc un engagement constant, une légèreté qui veut jeter un regard neuf sur le monde. Regard dépouillé de tout artifice, de toute règle, sauf, peut-être, le précepte de Chamfort: La plus perdue de toutes les journées est celle où l’on n’a pas ri. Le rire devient ici, avec la joie, l’arme que l’on oppose au découragement. A la différence de la moquerie, le rire rassemble, réunit, rend plus fort.
Ultime audace, le rire brise la routine et met à distance l’épreuve. A l’institut, l’absence pesait, les interrogations aussi. Les journées apportaient mille difficultés. Mais aucune, selon le critère de Chamfort, n’était perdue. Au contraire! La vie devient douce grâce à l’humour. Rire et combattre sauvaient nos vies. Et si les deux allaient de pair, s’ils ne pouvaient se passer l’un de l’autre?
Alexandre Jollien, Le métier d’homme (coll. Points Essais/Seuil, 2014)
image: http://www.hopitalsourire.com