François Mauriac
Un cimetière ne nous attriste que parce qu’il est le seul endroit du monde où nous ne retrouvions nos morts. Partout ailleurs, nous les portons avec nous. Il suffit de fermer les yeux pour sentir ce souffle contre notre cou et, sur notre épaule, cette main fidèle. Non, ce n’est pas autour de la pierre qui les recouvre que nos morts se pressent, si nous les appelons.
Mais quel chrétien, après la communion, n’a vu apparaître, un à un, leurs visages tendres ou graves – comme si la petite hostie brûlant en lui les attirait hors des ténèbres -, comme s’ils voulaient rompre ce pain avec leur fils survivant, avoir part à cette merveille. Et même le grand-père disparu dans notre enfance, dont nous nous rappelons à peine une parole, une attitude; même ce père emporté en pleine jeunesse dont nous n’avons gardé aucun souvenir, nous les reconnaissons, nous ne les confondons avec aucun autre, nous sommes sûrs que ce sont eux. Et peut-être cette femme qui a perdu un tout petit enfant, qu’elle aura été la seule à pleurer, n’éprouve-t-elle pas l’ombre d’un doute devant ce visage qui lui sourit, le visage de son fils grandi et épanoui en Dieu. Et derrière les plus proches, nous pressentons une foule avide et silencieuse – triomphante? souffrante? nous ne le savons pas. Mais ils nous envahissent, à cette minute après la communion: ils vivent en nous, pressés autour de Celui qui les a aimés, comme Il nous a aimés.
Cette venue muette et douce de ceux qui nous ont précédés dans la paix, en avons-nous jamais été témoins, devant leur tombe? Non, sans doute; mais peut-être n’est-ce pas pour les retrouver que nous devons accomplir ce pèlerinage. Après nous être inclinés sur ces restes, rappelons-nous quelle est notre croyance à leur sujet, notre immense espérance. Dans le Credo, nous affirmons notre foi en la résurrection de la chair. La résurrection de la chair… qui de nous y arrête sa pensée? Nous devrions tressaillir de joie, si cette foi était en nous vivante. Un cimetière, voilà le lieu où il faut oser contempler notre espérance, nous qui l’avons gardée.
François Mauriac, Journal I / 1932, dans: Journal – Mémoires politiques (coll. Bouquins/Laffont, 2008)