Chemins de traverse – 865 / Louis Aragon

Louis Aragon

Louis Aragon

Au vrai, Bérénice dansant n’avait pas de poids, elle pliait à la pression la plus légère. On eût dit qu’elle était la musique, tant elle s’y mariait. Aurélien craignit de ne pas danser assez bien pour elle. Il le lui dit. Elle ferma les yeux. Alors, se penchant sur elle, il la vit pour la première fois. Il régnait sur son visage un sourire de sommeil, vague, irréel, suivant une image intérieure. Ce qu’il y avait de heurté, de disparate en elle, s’était fondu, harmonisé. Portée par la mélodie, abandonnée à son danseur, elle avait enfin son vrai visage, sa bouche enfantine, et l’air, comment dire? d’une douleur heureuse. Aurélien se répéta qu’il n’avait encore jamais vu cette femme qui venait d’apparaître. Il comprit que ce qui la lui avait cachée, c’étaient ses yeux. Quand elle les avait fermés, elle n’avait plus été protégée par rien, elle s’était montrée elle-même…

Louis Aragon, Aurélien (coll. Folio/Gallimard, 2008)

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