Jésus-Christ ou rien – XXX
Bernard Bro
On se souvient de ce geste inattendu qui fut sans doute le plus significatif d’une assemblée mondiale des chrétiens. C’est lors du Congrès eucharistique, à Philadelphie, aux Etats-Unis, devant la foule des pèlerins. Ce n’est pas un discours; ce ne sont pas les interventions du Président, du Cardinal ou du Père général des Jésuites. Ce n’est pas le symposium oecuménique. Mais, devant le Saint-Sacrement, c’est un geste imprévu, totalement dépouillé dans sa banalité: l’un des personnages les plus mondialement connus et aimés de l’Eglise officielle, un archevêque, s’incline pour embrasser les mains d’une vieille femme. L’archevêque s’abaisse au nom, dit-il, de tous les pauvres du monde. Dom Helder Camara se penche pour embrasser les mains de Mère Teresa de Calcutta. C’était l’hommage de l’Eglise institutionnelle à celle qui, démunie de tout, n’avait vraiment plus que Jésus-Christ. Devant un million d’américains, quel symbole!
Alors, laissez-moi faire cet aveu: c’est à elle, c’est à Mère Teresa que j’aimerais faire appel ici. C’est à elle que je voudrais céder la parole. Moi, je ne suis pas digne de parler; elle, le peut, justement parce qu’elle n’a plus que le Christ, parce qu’elle n’a pas d’autre force, pas d’autre trésor. Elle peut avoir en vérité Jésus-Christ à la bouche parce qu’elle a prouvé qu’elle n’avait que Jésus-Christ dans le coeur.
La force de mon affirmation est sa faiblesse même, et l’avantage de Mère Teresa, c’est qu’avec elle, la faiblesse serait présente, vraiment. Si on lui enlève Jésus-Christ, on lui enlève tout. Il n’y a plus aucun argument, aucune philosophie, aucune sagesse. Alors se vérifie l’affirmation de saint Paul: Quand je suis venu chez vous, je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige du langage ou de la sagesse. Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus Christ, ce Messie crucifié. Et c’est dans la faiblesse, craintif et tout tremblant, que je me suis présenté à vous. Mon langage, ma proclamation de l’Evangile, n’avaient rien d’un langage de sagesse qui veut convaincre; mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi repose, non pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. (1 Co 2, 1-4).
Bernard Bro, Jésus-Christ ou rien / extraits (Cerf, 1977)
image: Pericle Fazzini, La Résurrection – Salle d’audience Paul VI, Vatican (bestglitz.com)