Claudio Montale
Verbe de mémoire,
mon ombre sur la terre,
le gouvernail du temps au hasard des intempéries
a démêlé nos liens.
Branches obscures avides de tout,
nos vies ont emprunté un itinéraire différent,
tantôt fondu à la pierre négligée,
tantôt semblable à l’éclair de midi,
impatient et désespéré.
Au seuil du rude hiver,
il a fallu effacer la trace ancienne,
l’écharde blanche
à la dimension de notre impossible amour.
Silence, intériorité en Dieu,
l’ami et l’hôte inattendu.
Absence scellée
aux blessures apparentes.
Hors de toi,
le temps s’est raréfié.
A l’épreuve des vents contraires
je n’ai pas fui l’allégresse
des matins réinventés;
mais pourquoi l’ancolie solitaire
– malgré les mains tendues, amies –
ne s’est-elle ouverte, en larmes,
qu’aux restes de notre incomparable union?
Etoile de sang
qu’un pluriel nourrit sous le givre.
Et toi
– ma raison de vivre et de durer –
dans quels miroirs t’es-tu multipliée?
Et quels horizons
aux signes téméraires
ont parcouru ta plaie?
Oiseau vulnérable au profil trop offert,
n’as-tu trouvé de prise sur aucun nid?
Parfois, lumineuse,
l’accalmie des heures communes:
fragments de ta présence aimante,
insoumise, désemparée,
à l’éphémère inondant ma vigne.
Apogée de joie
dans nos yeux et nos rires confondus;
apogée de souffrance
dans le non-dit et le ciel limité.
Nous sommes très proches,
disais-tu:
petit coeur qui ne bat plus,
corps froid ne recueillant que les cendres
de mon être dissous…
Douleur vibrante
au présent consterné.
Rose tardive sollicitant sa tige,
suis-je aujourd’hui, enfin,
à la terre rendu
– difficile apprentissage
des clartés définitives –
quand le pire
n’est point de vouloir mourir,
mais de si peu tenir à vivre?
J’acquiesce et me tais.
L’espace tremble, il mesure mon pas,
et ton ombre s’étend.
A sa douceur hospitalière,
je m’abandonne
comme la graine austère
qui demande à reposer
au coeur de ce qu’elle aime.
Ligne meurtrie où s’inscrit mon souffle
en s’inclinant vers toi.
Claudio Montale, La prose de Catherine (HC, 1969-1984)