Julien Green
Dieu parle avec une extrême douceur aux enfants et, ce qu’il a à leur dire, il le leur dit souvent sans paroles. La création lui fournit le vocabulaire dont il a besoin, les feuilles, les nuages, l’eau qui coule, une tache de lumière. C’est le langage secret qui ne s’apprend pas dans les livres et que les enfants connaissent bien.
A cause de cela, on les voit s’arrêter tout d’un coup au milieu de leurs occupations. On dit alors qu’ils sont distraits ou rêveurs. L’éducation corrige tout cela en nous le faisant désapprendre. On peut comparer les enfants à un vaste peuple qui aurait reçu un secret incommunicable et qui peu à peu l’oublie, sa destinée ayant été prise en main par des nations prétendues civilisées. Tel homme chargé d’honneurs ridicules meurt écrasé sous le poids des jours et la tête pleine d’un savoir futile, ayant oublié l’essentiel dont il avait l’intuition à l’âge de cinq ans.
Pour ma part, j’ai su ce que savent les enfants et tous les raisonnements du monde n’ont pu m’arracher complètement ce quelque chose d’inexprimable. Les mots ne peuvent le décrire. Il se cache sous le seuil du langage, et sur cette terre il reste muet.
Julien Green, Partir avant le jour (coll. Livre de Poche/LGF, 1972)
image: Robert Doisneau, L’enfant et la colombe (la-chambre-claire.fr)