Thomas Merton
Notre sincérité envers nous-mêmes, envers Dieu et envers les autres dépend en grande partie de notre faculté de nous croire aimés. La plupart des complexes moraux, psychologiques et même religieux de notre temps ont leur source dans notre peur désespérée de n’être pas, de ne pouvoir être aimés.
Si l’on réfléchit au fait que la plupart des hommes veulent être aimés comme des dieux, faut-il s’étonner qu’ils désespèrent de recevoir jamais l’amour qu’ils croient mériter? Le pire imbécile croit obscurément devoir être adoré, mais quelles que soient ses opinions propres, il s’apercevra vite que personne ne se fait suffisamment d’illusions à son sujet pour le faire.
Et cependant, l’idée que nous avons de nous-mêmes est si extraordinairement irréelle que nous nous révoltons contre ce manque d’amour comme si nous étions victimes d’une injustice. Notre vie entière est ainsi établie sur une base fausse. Nous supposons que les autres sont appréciés comme nous voudrions l’être et en concluons que, puisque nous ne sommes pas aimables tels que nous sommes, il nous faut le devenir sous de fausses apparences.
La vraie raison pour laquelle si peu d’hommes croient en Dieu est qu’ils ne croient plus qu’un Dieu même puisse les aimer. Mais leur désespoir est peut-être plus estimable que l’hypocrisie de ceux qui s’imaginent pouvoir amener Dieu à les aimer pour ce qu’ils ne sont pas.
Thomas Merton, Nul n’est une île (Seuil, 1956)
image: La Compagnie Kokeshi, Ronces (compagniekokeshi.fr)



