Chemins de traverse – 63 / John Donne

John Donne

C’est trop peu d’appeler l’homme un petit monde; excepté Dieu, l’homme n’est un diminutif de rien. L’homme consiste en plus de pièces, plus de parties que le monde, que ce que le monde a, que ce que le monde est. Et si ces pièces étaient étendues et étirées dans l’homme comme elles le sont dans le monde, l’homme serait le géant et le monde le nain, le monde serait seulement la carte et l’homme le monde. Si toutes les veines dans nos corps étaient étendues en fleuves, tous les nerfs en veines de mines, tous les muscles qui s’entrecroisent en collines, tous les os en carrières de pierre et toutes les autres pièces à la proportion de celles qui leur correspondent dans le monde, l’air serait trop petit pour que cette planète d’homme s’y déplace et le firmament serait à peine suffisant pour cette étoile; car comme il n’y a rien dans le monde entier en quoi quelque chose en l’homme ne corresponde, il y a bien des pièces en l’homme dont le monde entier n’a aucune représentation.

Agrandis cette méditation sur ce grand monde, l’homme, jusqu’à considérer l’immensité des créatures que ce monde produit: nos créatures, ce sont nos pensées, créatures qui sont nées géantes, qui vont d’est en ouest, de la terre au ciel, qui non seulement enjambent la mer et la terre ferme mais franchissent le soleil et le firmament en un instant. Mes pensées atteignent tout, comprennent tout.

Inexplicable mystère: moi, leur créateur, je suis dans une prison étroite, dans un lit de malade, n’importe où, et la moindre de mes créatures, de mes pensées, est avec le soleil et au-delà du soleil, dépasse le soleil et surpasse le soleil en un pas, en un instant, en tout lieu.

John Donne, Quatrième méditation, dans: Méditations en temps de crise (coll. Petite Bibliothèque/Rivages, 2001)

image: Anonyme du XVIe siècle, John Donne – National Portrait Gallery, Londres / Angleterre (npg.org.uk)

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