Chemins de traverse – 95 / Ossip Mandelstam

Ossip Mandelstam

Si je jette un coup d’oeil en arrière sur tout le dix-neuvième siècle de la culture russe, brisé, fini, unique, que personne ne peut oser ni ne doit recommencer, je veux apostropher ce siècle comme le beau fixe et je vois en lui l’unité d’un froid sans mesure qui a soudé les décennies en un seul jour, une seule nuit, le coeur de l’hiver, où la terrible structure étatique est comme un poêle brûlant de glace.

Et dans cette période hivernale de l’histoire russe, la littérature, dans l’ensemble, se présente à moi comme quelque chose de seigneurial, qui me trouble: je soulève en tremblant la pellicule de papier glacé au-dessus du bonnet de fourrure de l’écrivain. En cela personne n’est coupable et il n’y a pas à avoir honte. La bête n’a pas à avoir honte de sa fourrure. La nuit lui a donné son poil. L’hiver l’a vêtue. La littérature, c’est la bête. Le fourreur, c’est la nuit et l’hiver.

Ossip Mandelstam, Le bruit du temps (L’Age d’Homme, 1972)

image: Igor Medvedev, Winter Landscape (artistsandart.org)

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