Jean-François Noel

Eloge de la sainteté ordinaire – XXVIII

Ce n’est pas parce que notre conscience piétine à la lisière du divin que nous pouvons affirmer que nous n’avons pas été maintes et maintes fois visités. Notre petite conscience fait de nous de petits comptables sourcilleux, comme celui du Petit Prince, qui ne cesse de compter et de recompter. Ou mieux encore, comme l’allumeur de réverbère de ce même conte, qui tente d’endormir la soif de transcendance qui sourd en lui, en respectant à la lettre la consigne qu’il s’est donnée. Il nous faut supposer que nous sommes plus hauts, plus grands, plus profonds, et que notre conscience ne peut étreindre toutes les dimensions de notre être. Nous sommes en Dieu comme le poisson est dans l’eau, sans le savoir. Nous sommes en Lui, et rien ne nous en séparera.

Mais le coeur de la rencontre, ce qui s’y passe et s’y dit et s’y échange, est indicible. Comme en une rencontre aveugle, il faudra attendre la redescente, pour qu’une esquisse de récit puisse être possible. Encore restera-t-il incomplet, et les mots s’avoueront démissionnaires, eux qui menacent de ranger cette expérience au magasin des chimères, comme le dit André Frossard. Cette infirmité invalide-t-elle pour autant l’authenticité? Quand il s’agit d’affaires que nous considérons comme purement humaines, nous n’émettons aucun doute. Alors pourquoi douter que Dieu puisse agir, nous visiter, sans que nous en ayons totalement pris conscience?

L’intuition de Dieu s’inspire de cette brèche faite dans le bloc des convictions et des croyances taillées sur mesure: cette brèche est le résultat direct de la blessure provoquée par l’écharde. Si Dieu refuse obstinément d’ôter l’écharde, s’il impose un délai, c’est qu’il vise un autre bénéfice qui ne serait pas une simple et définitive guérison. Dieu, quand il a trouvé la brèche, entre avec la délicatesse de celui qui connaît – par coeur – tous les recoins de notre vie intérieure, et procède par dilatations progressives à ces arrangements nécessaires dont nous ne savons rien, sinon qu’ils rattrapent les erreurs et nous orientent plus sûrement vers Lui. Et Il accomplit tout cela à notre insu, comme un ouvrier anonyme et généreux. Toutefois, cet anonymat est assez subtil pour laisser traîner çà et là quelques traces, qui ne contraignent pas la liberté, mais qui sont reconnaissables par les yeux exercés de la charité.

Autrement dit, notre sainteté a déjà commencé en silence. Nous sommes promis à une fécondité, et Dieu ne revient pas sur Ses promesses. 

Jean-François Noel, L’écharde dans la chair – Eloge de la sainteté ordinaire (Desclée de Brouwer, 2011)

image: Duccio di Buoninsegna, La transfiguration (nationalgallery.org.uk)

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