L’écharde dans la chair – 12

Jean-François Noel

Eloge de la sainteté ordinaire – XII

Les morts aux morts et les vivants aux vivants: tel pourrait être le mot d’ordre du Maître, le vivant des vivants. La réponse que celui-ci fait à celui qui veut Le suivre et qui prétexte l’enterrement d’un parent, prouve s’il en était besoin qu’Il n’aime pas la mort. Ne frémit-Il pas d’un immense dégoût devant la tombe de son ami Lazare, dégoût qu’Il éprouve jusque dans Sa chair? Cette répulsion qui n’est pas, comme je l’entends trop souvent, la conséquence d’une authentique compassion plus humaine, comme s’il fallait un peu d’humanité dans ce divin, pour l’adoucir un peu. Sa répulsion est celle du Père. La mort est et restera toujours laide et sournoise. Elle est l’ennemi de l’homme et l’ennemi de Dieu. Pour toujours.

Nous n’y pouvons rien, inconsciemment, les notions ou réalités de Dieu et de mort vont de concert. Elles sont inséparables. Or il n’y a rien de plus faux. Tout au contraire, Dieu déteste la mort, Il la pourchasse jusqu’au bout de ses ténèbres, et Il n’aura de cesse que d’en arracher l’homme. Non seulement de la mort définitive que de toutes les formes insidieuses qu’elle prend pendant notre vie de chair.

Les anciens pensaient qu’il fallait donner aux disparus de quoi voyager. Sainte Monique ne pouvait s’empêcher d’aller donner quelques gâteaux pour la route à ses chers disparus. Ce qui n’a pas été du goût de saint Ambroise, l’évêque de Milan, mais ne l’a pas empêchée d’être canonisée. Leurs bagages, de ceux qui passent la douane du ciel, sont nos prières. Ils prient pour nous et nous prions pour eux, avec eux. Nos vies dans leurs vies. Pourquoi cesseraient-ils d’être nos proches alors qu’au plus près de leur vérité, ils s’approchent de la Vie? Pour ma part, il m’arrive de leur confier telle ou telle mission, ou telle intention. Il suffit de se remémorer quelques images du film de Wim Wenders, Les ailes du désir, quand les anges touchant nos têtes recueillent, comme la chose la plis précieuse qui soit, tout le charivari de nos pensées. Le ciel écoute les hommes. Pourtant le surnaturel ne vient rien chambouler, ni forcer l’invisible.

Soyons plus précis: cet échange incessant entre nos prières et les leurs fait appel d’air. Cela fait brèche dans le couvercle du firmament, laissant résonner dans nos propres vies quelques harmoniques inconnues et pourtant reconnaissables. Cadeau échangé… A son tour, chaque défunt présente directement au Père ceux qu’il porte en lui, qu’il a tant aimés et à qui il l’a si peu dit… Mouvement qui incline le ciel sur la terre. A cet endroit, ils se touchent.

Jean-François Noel, L’écharde dans la chair – Eloge de la sainteté ordinaire (Desclée de Brouwer, 2011)

image: Duccio di Buoninsegna, La transfiguration (nationalgallery.org.uk)

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