Jean-François Noel
Eloge de la sainteté ordinaire – X
Au commencement, il devrait y avoir l’étonnement. Comment se fait-il que les choses soient, qu’une place soit attribuée à chacune, de l’étoile du matin au mouvement pendulaire de la vague, en passant par le déploiement des pétales des fleurs à la rosée? Comme si une transcendance joueuse avait laissé çà et là quelques traces, mais pas trop, juste de quoi deviner la générosité qui a présidé, souveraine et humble… en s’effaçant ensuite. Cette transcendance, qui attend quelque oui de l’homme, pour se dévoiler.
Rappelons au moment où nous allons nous embarquer dans ce voyage, ce qui avait incité l’apprenti saint à inscrire Dieu dans son horizon. Il avait découvert la part manquante, cette chambre normalement réservée à l’éventuel visiteur divin. Que ce soit pour son ange ou quelque envoyé, il avait décidé qu’il la débarrasserait de tout ce qui l’encombre afin qu’elle soit prête pour sa visite. Ce qu’il sait aussi, c’est qu’on ne se débarrasse pas si facilement de toutes ces idoles qui ont élu domicile dans la chambre réservée. Ce genre de choses, on ne peut s’en séparer qu’en marchant. Seul le pélerin, parce que la route l’y oblige, accepte de s’alléger. Le pèlerin est une figure qui désigne tout autant le marcheur, que le philosophe en méditation, l’orant dans sa prière, l’apôtre en pleine mission ou le fiancé. Tous ont en commun et seul le dernier en porte clairement le nom, d’avoir jeté leur confiance au-delà d’eux-mêmes.
Il faut un endroit où la brèche pousse l’homme à sortir de lui-même – toujours la fameuse écharde -, comme s’il craignait de perdre sa vie alors qu’il va justement la recevoir. Dans le tout petit écart de temps et d’espace qui se situe juste à l’articulation entre s’exposer ou basculer, se loge très exactement l’infime mais indispensable contribution de l’homme, sa confiance. Le plus beau mot que Dieu aime à entendre s’entend dans Je suis la servante de Marie, que dans l’Amen murmuré par ce chrétien à la messe de 10 h 30 de l’église de la Sainte-Famille d’Istres. Tout compte.
Pourquoi ce consentement vaut-il un trésor? C’est comme un appel d’air. Pour être tout à fait précis, ce n’est pas directement la foi que nous offrons à Dieu, mais plus exactement la place pour accueillir le don de la foi. Nous Lui offrons une sorte de première confiance, sorte d’empreinte en creux qui attend d’être habitée.
Jean-François Noel, L’écharde dans la chair – Eloge de la sainteté ordinaire (Desclée de Brouwer, 2011)
image: Duccio di Buoninsegna, La transfiguration (nationalgallery.org.uk)