L’écharde dans la chair – 9

Jean-François Noel

Eloge de la sainteté ordinaire – IX

Le saint est assuré d’une chose: il est un endroit plus intime que notre intimité, où se rejoignent le fini et l’infini, en un noeud intime et indéchiffrable, qui est la signature de notre identité épousée. Elle nous échappera toujours car la saisir serait nous mettre en position d’être notre propre créateur. Et cela, le saint s’en défend comme de la pire tentation. Chasser hors de lui toute fausse idole, et ne réserver qu’à Dieu cette confidence définitive: Je suis en train de devenir ce que je suis réellement, quand je suis avec Toi. Ce sera le sceau secret de son chant de fiançailles.

Ceci n’est surtout pas réservé au grand face à face. Ceci est tout autant valable avec le voisin si lourd en chair et si fatigant qui est mon prochain. D’ailleurs tout individu qui passerait par-dessus le prochain sera immédiatement considéré comme suspect. Il est bien plus facile d’aimer l’humanité que d’aimer son voisin de palier, son frère et son époux, ou son épouse. Le pauvre a toujours l’art de se mettre en travers du chemin lorsque nous allons à un rendez-vous important.

Dieu n’aime pas que le saint aille trop vite et qu’il brûle les étapes. Il aura bien d’autres occasions de se brûler. Toutes ces rencontres préliminaires préparent la rencontre finale. Chaque confrontation avec le voisin de palier contient déjà tout. Ce ne sont que de petits éclats de Dieu, qui ne nous tromperont pas sur le grand dévoilement. Dieu est déjà tout entier dans le prochain, avec la différence que ce dernier s’inscrit dans une histoire, ce qui donne droit à tous les ratages possibles, ce que l’éternité ne permettra plus.

A vouloir tout et tout de suite, nous plaçons l’Evangile du côté de l’effort, de ce qu’il faut faire. Ne nous plaignons pas ensuite qu’il n’attire que les sérieux et les appliqués. Il suffit de voir nos têtes à la messe. Cela ne donne pas toujours envie de nous rejoindre. Les résistances, même si nous ne devons pas nous y arrêter, sont des signes à interpréter. Nous ne pouvons pas sans cesse nager à contre courant. Je reste convaincu que notre nature n’aspire qu’à une chose, c’est de rejoindre ce qui la fonde et l’aimante. Notre nature erre, nostalgique et flottante, tant qu’elle n’a pas retrouvé son origine divine.

Jean-François Noel, L’écharde dans la chair – Eloge de la sainteté ordinaire (Desclée de Brouwer, 2011)

image: Duccio di Buoninsegna, La transfiguration (nationalgallery.org.uk)

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