Chemins de traverses – 102 / Robert Ganzo

Robert Ganzo

Depuis que le poète est mort
Un beau matin, sans crier gare
Les trains sifflent moins dans la gare,
Et sa famille a du remords.

C’était donc un grand personnage
Ce dernier des poétaillons
Qui s’en allait presqu’en haillons
Pâle et maigre, dans un nuage?

Nos oreilles étaient distraites
Et lui nous parlait cependant
Mais au fond, c’était emmerdant
D’entendre des choses abstraites.

Ses mots étaient ceux d’un apôtre:
– Si vous le voulez, citoyens,
Votre malheur sera le mien
Et mon bonheur sera le vôtre…

Pendant ce temps son pauvre père
S’épuisait à gagner des sous
En vendant de soyeux dessous
Et des bas à dix francs la paire.

Et tout en faisant ce commerce
Son coeur s’est mis à se rouiller.
– Mon fils n’a qu’à se débrouiller.
Il est poète? eh bien, qu’il perce.

Mais le poète est mort de peine,
Est mort d’amour, est mort de faim
Et le voici célèbre enfin,
Tandis qu’au ciel, il se promène!

Et c’est pourquoi, puisqu’il est mort
Un beau matin sans crier gare
Les trains sifflent moins dans la gare,
Et sa famille a du remords.

Robert Ganzo, Le poète assassiné / extrait, dans: Bernard Bro, La beauté sauvera le monde (Cerf, 1990)

image: http://www.vdrfrance.com

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