Vous verrez le Ciel ouvert – XXV
Les entretiens de Charles Journet
Que Votre règne arrive! En quel sens le règne de Dieu ne connaît-il pas de défaites? En quel sens peut-il être tenu en échec? Le règne de Dieu arrivera toujours: par l’amour accepté, Dieu règne alors par la pente de son coeur; par l’amour refusé, c’est une victoire contre Dieu, mais une victoire par laquelle celui qui triomphe se saccage. Il veut se déchirer contre cet amour qui le prévient, et ne peut pas disparaître: pour que les anges rebelles et les damnés ne souffrent pas, il faudrait que Dieu disparût. Ils n’auraient pas l’Amour contre quoi se déchirer, mais… ils n’existeraient pas!
Le règne de Dieu est tenu en échec par nos péchés, pas seulement ceux des autres. Si tous avaient des coeurs brûlants après vingt siècles de christianisme, bien des choses seraient différentes. Il ne faut pas se résigner trop vite même si on n’arrive pas à changer telle situation qui devrait l’être, il faut lutter… Il y aura toujours des maladies, des pauvres, des injustices, des dénivellations de populations… il faudrait lutter jusqu’à la fin, sans jamais en prendre son parti. C’est cela avoir faim et soif de justice. Saint Augustin et saint Thomas d’Aquin associent le don de force, parce que, quand viennent les échecs, on se décourage, on entre dans la torpeur. Il faut demander cette faim et cette soif de la justice.
Que Votre règne arrive! c’est-à-dire: que Votre amour descende! Que Dieu règne selon la première pente de Son coeur. Dans son commentaire du Pater, Dante l’a bien compris: Qu’elle vienne vers nous, la paix de Ton Royaume, parce que, de par nous-mêmes, nous ne pouvons pas la faire descendre en nous. Car cette descente de Dieu, elle est lumière, vérité, amour, paix, joie… Il faut aimer la Vérité, l’aimer plus encore qu’à d’autres époques où les structures du monde étaient chrétiennes. Il faut bien voir le mal dans le monde, mais voir aussi que le règne de Dieu se construit dans la nuit; que le bien est plus fort que le mal, qu’il mine les constructions du mal, lesquelles s’effondrent les unes sur les autres, tandis que la cité de Dieu se construit.
C’est ce qu’exprime si bien saint Jean de la Croix: De tout temps le Seigneur a découvert aux mortels les trésors de Sa Sagesse et de Son Esprit. Mais maintenant que la malice découvre bien davantage son visage, Il les découvre bien davantage. O Seigneur mon Dieu, qui Te cherchera avec un amour pur et simple, qui ne Te trouve selon son gré et son désir? Car c’est Toi qui Te montres le premier et qui viens à la rencontre de ceux qui Te désirent.
Charles Journet, Entretiens sur la prière / extraits (Parole et Silence, 2006)
image: Chartreuse de la Valsainte, Charmey / Suisse (acustica-godel.ch)
