Vous verrez le Ciel ouvert – 32

Vous verrez le Ciel ouvert – XXXII

Les entretiens de Charles Journet

Au péché de désespérance répond le péché contraire de présomption. Penser que Dieu puisse ne pas inviter le pécheur – tout pécheur – à la pénitence et lui refuser le pardon quand le repentir est vrai, voilà en propre le désespoir. En appeler au contraire à la puissance et à la miséricorde divines pour continuer de pécher et refuser les invitations au repentir, voilà la présomption qui est péché contre l’Esprit Saint. On peut aller très loin dans ce sens, mais c’est un jeu dangereux: Ne vous égarez pas, Dieu ne se laisse pas narguer. Ce que l’on a semé, on le récoltera (Ga 6, 7).

Et pourtant, toutes choses égales d’ailleurs, saint Thomas d’Aquin écrit que la présomption est un moindre péché que la désespérance. Elle offense Dieu dans Sa Justice; la désespérance L’offense dasns Sa Bonté infinie, qui l’incline plus foncièrement à la miséricorde et au pardon; le mal est plus grand de limiter la puissance de Dieu par la désespérance, que d’exagérer la nôtre par la présomption. Sainte Catherine de Sienne lui fait écho: Ils usent à contresens de Ma Bonté, ceux qui s’autorisent de l’espérance qu’ils ont en Ma miséricorde, pour M’offenser. Je ne les en conserve pas moins dans l’espérance de la miséricorde, pour qu’au dernier moment ils aient à quoi se rattacher, qui les empêche de succomber sous le remords en  s’abandonnant au désespoir. Car le péché de la désespérance M’offense davantage et leur est plus mortel que tous les autres péchés qu’ils ont commis dans le cours de leur existence. 

Il est des êtres qui semblent trop faibles pour supporter le poids de misère ou de souffrance morale qui s’amasse sur eux et qui finissent par le suicide. Telle jeune fille, chrétienne fidèle mais angoissée, soutien de sa vieille maman, un matin, au moment de partir pour son travail, se pend à la poignée de la fenêtre; on trouve son chapelet dans son lit. Sans doute la grâce divine d’elle-même est plus puissante que tous les découragements, et quand elle s’empare d’un sujet pour le faire passer par les épreuves de ce que saint Jean de la Croix appelle la nuit des sens, elle dissipe radicalement toutes les mélancolies. Mais, même vraie, même chérie, la vie de la grâce n’est pas partout aussi profondément enracinée. Elle ne suffit pas toujours à écarter les névroses. Elle en prévient d’innombrables, cela est certain. Elle aide saintement à porter les autres, comme on porte une phtisie ou un cancer. Mais il arrive que l’intensité de l’épreuve puisse faire sombrer la raison au point d’innocenter tel suicide aux yeux du Dieu de miséricorde qui sonde les coeurs.

Charles Journet, Entretiens sur l’espérance / extraits (Parole et Silence, 1998)

image: Chartreuse de la Valsainte, Charmey / Suisse (acustica-godel.ch)

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