Chemins de traverse – 148 / Jean-Michel Maulpoix

Jean-Michel Maulpoix 

La neige dit adieu.

Elle prend avec délicatesse le temps de disparaître.

Elle n’insiste pas, ne persiste guère,
ne prend pas racine.
Elle tombe.
Elle s’abandonne.
Elle éprouve à se perdre un vertige,
un plaisir immense.

Toute sa vie
– comprenez-le bien –
ne fut que cela:
se jeter par la fenêtre.
A moins que ce ne fût prendre le temps
de descendre un invisible escalier.

Son corps est si léger
qu’il ralentit sa chute au lieu de l’accélérer.

Personne ne saurait comme elle
se jeter dans le vide.
Personne ne peut mourir avec autant de joie.
Autant de gaieté.
Incomparable est sa qualité d’espérance.
Son dédain de l’éternité.

Il fallait qu’elle aimât passionnément la terre
pour y descendre ainsi,
avec mille précautions,
au lieu de demeurer au ciel.
Brûlant de se donner aux branches nues et aux cailloux,
d’encapuchonner les toits et les cheminées.

La neige meurt du bonheur
d’être allée dans le bleu
comme aucun oiseau et aucun insecte.
Aucun dieu sans doute, aucun ange.

Elle tombe, puis elle se couche.
Il lui plaît de mourir très vite après avoir dansé.
De s’être tenue si près de l’Azur,
elle ne se remet pas.

Jean-Michel Maulpoix, Pas sur la neige (Mercure de France, 2004)

image: SvenThomasson Vergson (vergson.canalblog.com)

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