Vous verrez le ciel ouvert – 57

Vous verrez le Ciel ouvert – LVII

Les entretiens de Charles Journet

Comment définir l’enfer? Surtout par la privation de l’amour. Dans Dostoïevski, on trouve des attaques terribles contre l’enfer, comme condition du paradis: Je ne voudrais pas du Paradis si la condition en est les larmes d’un seul petit enfant ou d’un seul damné pour toujours (Les frères Karamazov). Toutes les attaques contre l’enfer commencent par une caricature qu’on en fait. Plus loin, dans le même roman, Aliocha notera les pensées du starets: Mon Père, je me demande, qu’est-ce que l’enfer?

Je le définis ainsi: la souffrance de ne plus pouvoir aimer. Je crains de sonder ce mystère du feu de l’enfer, mais je pense que, même s’il y avait de véritables flammes, les damnés s’en réjouiraient car ils oublieraient, dans les tourments physiques, ne fût-ce qu’un instant, la plus horrible torture morale. Il est impossible de les en délivrer car ce tourment est en eux, non à l’extérieur. Ils se nourrissent de leur orgueil, comme un affamé dans le désert se mettrait à sucer son propre sang; ils sont insatiables aux siècles des siècles, et repoussent le pardon. Ils maudissent Dieu, ils voudraient que Dieu s’anéantit, Lui et toute Sa création. Ils auront soif de la mort et du néant, mais la mort les fuira.

A la fin du monde, les damnés ressusciteront, et ce sera ainsi non seulement l’âme mais l’homme tout entier qui se trouvera en rébellion contre Dieu et la création. Dieu est trop bon pour qu’il y ait un enfer, trop bon pour ne pas pardonner, dit-on. Jacques Maritain répond très justement: Dieu est trop bon pour ne pas pardonner, mais c’est justement ce qu’Il fait, Dieu! Il pardonne tout, dès que le coeur se repent; si le démon se repentait, il serait tout de suite pardonné, mais le péché sans repentir ne peut être pardonné, pas plus que Dieu ne peut s’anéantir. Le péché postule un monde à lui, privé de Dieu comme lui. L’amour a tout créé pour diffuser la bonté divine, il ne peut être vaincu; si je refuse de le manifester en miséricorde, je le manifesterai en justice. La ténèbre n’est donc pas du côté de Dieu, mais du côté du refus.

Charles Journet, Entretiens sur les fins dernières / extraits (Parole et Silence, 2011)

image: Chartreuse de la Valsainte, Charmey / Suisse (acustica-godel.ch)

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