Morceaux choisis – 622 / François Mauriac

François Mauriac

Il arrive que je me sente d’autant plus proche d’un croyant, d’un homme pieux, qu’il se trouve plus éloigné de ma propre Eglise. Cela n’est un paradoxe qu’en apparence. Devant un musulman ou un juif, s’ils sont dévots, je sais d’avance, avant qu’ils aient ouvert la bouche, ce qui me sépare d’eux. L’abîme, entre nous, m’est en quelque sorte familier. Il ne saurait y avoir de surprise. Mais ce qui ne m’est pas familier et qui m’enchante quand je les découvre, c’est tout à coup cette parole d’adoration que je reconnais, cette prière qui pourrait jaillir de mon propre coeur, cet amour du Père qui est au ciel, et quelquefois, et même chez certains juifs, cet attrait pour le Christ.

Dans les trop rares occasions qui me sont données de rencontrer un véritable israélite, un musulman mystique, je songe à toutes les demeures qu’il y a dans la maison du Père. Et ce que je ressens à l’égard d’un fils d’Israël ou d’un fils du Prophète, je le ressens plus encore, il va sans dire, avec les chrétiens de confessions différentes mais qui vivent du Christ, avec ceux de mes frères séparés qui ont une foi vivante, ou avec certaines âmes qui n’appartiennent à aucune confession déterminée.

C’est un peu comme lorsque nous découvrons que des étrangers connaissent et aiment comme nous un endroit secret de la forêt qui était le but de nos promenades solitaires. Nous admirons qu’ils y soient parvenus par d’autres chemins dont nous-mêmes n’avons aucune idée.

François Mauriac, Ce que je crois / extraits, dans: Oeuvres autobiographiques (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1990)

image: Tunisie (http://tunisie.co)

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