Chemins de traverse – 176 / Maurice Chappaz

Maurice Chappaz

Notre vie avec ses oeuvres
ne dure pas plus qu’un paquet de tabac,
y compris le pays où j’attends;
telle la petite fumée qui s’échappe
comme si j’étais cette petite fumée
au moment où la pipe reste chaude dans la main
après avoir été expirée.

Les années s’éteignent.

Le savoure la dernière braise.

Je trébuche après avoir fumé
entre un « Pater » et un « Ave ».
J’ouvre, je ferme les yeux.
Tout se mélange,
et dans ma mémoire qui s’efface
je me retrouve avec les petits lacs
qui bougent dans les montagnes
telles des paupières.

Le soleil à peine disparu,
il y eut une giclée de lune:
le croissant s’infléchit très jaune
dans une échancrure de la montagne,
une gorge l’avale.

Elle surgit,
brille de plus en plus,
m’éblouit.

D’un instant à l’autre,
je vois deux lunes
qui voisinent puis s’enfoncent.

De nouveau une seule lèche les ténèbres.
Un brasier de feu remue,
enfin quelques tisons se dissipent dans les rochers.

Mes pensées me dépassent,
filent en moi, obscures, tronquées,
s’évanouissent en traits plus noirs que la nuit.
Elle limpidement obscure.

Il y a des traits noirs.

Ces traits noirs sont de petits oiseaux inconnus,
leurs ailes cernent en allées et venues
les parois du chalet,
à peine ai-je le temps de les apercevoir.

Maurice Chappaz, La pipe qui prie & fume (Editions de la Revue Conférence, 2008)

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