Chemins de traverse – 867 / Laurence Devillairs

Laurence Devillairs

Laurence Devillairs

Quelqu’un de bien n’est ni un saint, ni même quelqu’un de sympathique. C’est un gentil. Le mot pourtant ne soulève pas l’enthousiasme: gentil, on le serait toujours trop. Il faudrait, dans ce monde de rivalités et de calculs, apprendre à$ hurler avec les loups plutôt qu’à séjourner avec les agneaux. C’est que l’on se fait de la gentillesse, et de la méchanceté aussi, une image fausse. La gentillesse n’est pas faiblesse, mais courage: c’est la capacité à refuser la fatalité, parfois bien accommodante. C’est faire advenir, même modestement, même incognito, et peut-être pour un temps seulement, autre chose – autre chose que ce que dictent nos envies, nos égoïsmes et nos conforts. C’est être, d’une certaine façon, plus que soi, plus que la somme de ses préférences et de ses intérêts.

Le gentil n’est pas celui qui n’a pas la force d’être quopi que ce soit d’autre. Ce n’est pas celui qui fait le bien par souci des représailles ou du qu’en-dira-t-on. Ce n’est pas celui qui se plie à des règles ou qui obéit à des commandements. La vraie morale se moque de la morale. Elle réclame d’agir sans compter; elle n’est pas conformité, mais liberté, ce pouvoir insoupçonné de se libérer de tout ce qui incline et prédétermine – caractère, appartenances sociales ou religieuses, sympathies ou antipathies.

C’est qu’il n’existe en morale que deux catégories: le courage et la lâcheté. Quelqu’un de bien n’est assurément pas un surhomme: ce qu’il accomplit est à notre portée. Son rôle est même de nous ouvrir la voie, de nous montrer que c’est possible, qu’un monde meilleur n’est ni utopie ni une mièvrerie. Que la gentillesse est le plus grand pouvoir qui soit, mais que le choix est ardu. la tentation de la méchanceté, du laisser-faire ou du laisser-dire étant toujours plus aisée. Le gentil est celui qui, ayant la force d’être méchant, choisit malgré tout de ne pas l’être.

Là est l’héroïsme, celui des gens ordinaires qui, un jour, ont su s’opposer, refuser, soutenir et se décider. C’est cela, la révolution du bien, le courage d’agir: c’est répondre sans délai à une injonction. Il faut plus que de la bienveillance pour être capable de dire: compte sur moi, pour tenir ses promesses, ne pas ternir ses fidélités et savoir faire un détour pour un inconnu, le premier venu. La gentillesse est une force. C’est la méchanceté qui est toujours une faiblesse, une défaite.

Laurence Devillairs, La gentillesse est-elle le nouvel hèroïsme? – dans: Madame Figaro, 15 novembre 2019 (madame.lefigaro.fr)

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