Jésus-Christ ou rien – 1

Jésus-Christ ou rien – I

Bernard Bro

Ecoutons la confidence d’un homme qui interrompt le récit de sa vie pour libérer un aveu. Et voici ce qu’il écrit:

J’avertis le public que j’ai perdu mon joyau le plus précieux, l’espérance. Quel que soit celui qui la rencontre, je le prie de la rendre à son légitime propriétaire. Pour le moment je me trouve dans une clinique de la ville de Bonn, en Allemagne, mais bientôt je poursuivrai mon voyage. Mon espérance est facile à reconnaître; elle mesure 1 m 74 comme moi. Elle est impossible à confondre avec une autre. Sa forme rappelait beaucoup celle d’un coeur humain, adulte. Elle n’était jamais tranquille, espérance mobile qui sautait, qui bondissait, elle ressemblait vraiment à un coeur vivant. Tel était le mien dans le trajet entre mes 34 et mes 40 ans, lorsque subitement et sans que je sache comment, j’ai tout perdu. Celui qui me rendra mon espérance, je l’embrasserai comme j’ai embrassé ma mère quand la guerre a été finie. Je vous en prie, cherchez, j’étais habitué à l’espérance. Elle m’accompagnait toujours. Sortez un moment à la porte de votre maison, soulevez une pierre ou deux, regardez dans les massifs, dans l’herbe, voyez si vous y trouvez mon espérance… (José Maria Gironella, L’oiseau des ténèbres)

Le temps des règlements de compte, le temps des abstractions, le temps des anesthésies ou des agressivités inutiles ne serait-il pas aujourd’hui périmé? Une question plus forte que toute autre est posée: le temps de l’espérance, contre toute espérance, n’est-il pas venu? Non pas le temps de l’inconscience ou de l’évasion, pas plus le temps de l’optimisme, ni celui de l’héroïsme. Mais celui de la douloureuse tension, celle qu’aucun homme n’évite dans sa vie, celui d’une des questions où chacun de nous décide et de soi et de Dieu dans sa vie. Cette question que chaque génération pose à la précédente: Homme, que dis-tu de ton avenir?

L’Eglise et l’Evangile ont-ils encore aujourd’hui de quoi nous convaincre que le dernier mot n’est pas à la mort et au désespoir? Il est certain que nous trouvons aujourd’hui toutes sortes de motifs de désespérer. Il nous faut donc être au clair sur le sens précis de cette angoisse et ce désespoir. Il nous faut d’abord entendre la question. Car je crois que c’est à partir de là, et peut-être seulement à partir de là que nous pouvons nous élever à l’espérance. Je sais le défi de mon propos. Et je le maintiens. Est-ce que la Parole de Dieu peut encore changer quelque chose dans le monde?

Aurore ou crépuscule? Quelque secteur que l’on regarde, celui qui conclurait au crépuscule aurait-il toujours tort? Qui osera dire n’avoir pas de motif d’incertitude? Dans la rapidité des changements, comment nous situer? Sommes-nous en déclin ou en renaissance? Et la tentation la plus malsaine est-elle celle de la lucidité et du regret du passé? Où faut-il donc que le chrétien mette son énergie? Où faut-il combattre: pour une réinterprétation politique du christianisme comme force historique de transformation du monde, oubien pour la gratuité propre à l’Evangile, chemin de communion, au-delà des luttes et des oppositions, quelle que soit l’utilité sociale du christianisme? Et rien, ni le ciel, ni la terre, ne pourra nous détourner de cette question, aucune puissance fût-elle religieuse ne pourra nous empêcher de nous demander: Aurore ou crépuscule: Homme, que dis-tu de ton avenir? Que fais-tu de ton angoisse? 

Bernard Bro, Contre toute espérance / extraits (Cerf, 1975)

image: Pericle Fazzini, La Résurrection – Salle d’audience Paul VI, Vatican (bestglitz.com)

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