Jésus-Christ ou rien – 9

Jésus-Christ ou rien – IX

Bernard Bro

Devant les révoltes humaines, nous avons, nous catholiques, le scandale facile. Et nous donnons parfois l’impression de nous situer toujours au milieu, de manière statique, entre deux périodes heureuses: le temps des merveilles du début, celui de l’Evangile et le temps des merveilles de la fin, celles qu’on attend. Comme si nous étions, du fait de nos certitudes, devenus incapables d’entendre vraiment la plainte, le cri, le désespoir de nos frères. Pendant que d’autres s’emparent du mouvement de l’histoire, serions-nous seulement préoccupés de nous protéger? Le dynamisme serait-il le fait du désespoir, et l’illusion, celui de l’espérance? Nous dispenserait-elle de regarder la réalité des faits?

Certes, nous possédons la certitude de l’amour de Dieu, extraordinaire, jaloux, ineffable. Certes, depuis l’Evangile nous nous sentons appuyés par des signes, eux-mêmes extraordinaires. Mais à qui penserait avoir tout exprimé de l’espérance, il faut rappeler que les faits nous démentent. Le désespoir issu de la rencontre d’un mal trop dur à supporter se dresse devant nous et une révolte s’élève: même la certitude d’être aimé de Dieu, même l’expérience de Sa présence sont apparemment insuffisantes. Et si l’espérance est la vertu du passage des ténèbres à la lumière, nous n’en pouvons plus à certains jours de voir les ténèbres.

La réponse des témoins dans la fournaise est d’une simplicité désarmante. Si l’homme tient encore à ce moment-là, c’est que quelqu’un le soutient secrètement; finalement, c’est Dieu Lui-même qui donne à l’homme de continuer, qui donne à l’homme d’espérer, qui fait traverser la fournaise. Lui seul peut à ce moment-là nous soutenir: car alors, c’est fini, il n’est aucun effort humain possible. Dieu seul soutient Abraham dans son débat pour sauver ceux qu’il aime. Et cependant Abraham, en face de Sodome, apparaît meilleur que son Dieu. Et Moïse paraîtra aussi plus miséricordieux, et le Juif de Varsovie se trouvera plus aimant que Dieu.

Et c’est alors que les saints nous révèlent le seul secret, le stupéfiant secret. Devant pareille espérance, on ne peut que constater: c’est un miracle proprement divin, il n’y a que Dieu qui puisse espérer contre toute espérance et qui puisse nous donner de tenir. Du fait que Dieu paraît se détourner, on pourra avoir l’impression qu’on est meilleurs que Lui. Mais cette impression est une impression du dehors, et seul celui qui espère comprend qu’elle frôle un effrayant blasphème. Dieu n’attend finalement de nous qu’un geste: qu’on Lui donne, contre toute apparence, cette confiance, cette foi, cette espérance que seul un enfant sait donner. Au-delà de tous les événements, un enfant ne pourra jamais admettre que sa mère le laisse tomber. C’est cette impuissance à désespérer de l’autre, parce qu’on est un enfant, qui est bien l’ultime sommet de l’espérance. 

Bernard Bro, Contre toute espérance / extraits (Cerf, 1975)

image: Pericle Fazzini, La Résurrection – Salle d’audience Paul VI, Vatican (bestglitz.com)

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