Jésus-Christ ou rien – 10

Jésus-Christ ou rien – X

Bernard Bro

Ceux que l’Eglise a désignés par la sainteté, ont-ils quelque chose à nous dire en face du désespoir ou doivent-ils nous répugner? Arrêtons-nous sur un exemple privilégié. Plus que tout autre, il est au coeur de notre propos. Une carmélite canonisée au vingtième siècle; ses biographes ont oscillé entre deux portraits. L’un et l’autre ne semblent pas nous dire ce que fut la réalité. Que ce soit le petit ange fleur bleue de la piété qu’elle fut pour son entourage, ou l’être accablé par la vie, précurseur de l’existence absurde qu’elle fut pour certains romanciers ou pour ses biographes actuels. Celle qu’un pape a désignée comme la plus grande sainte des temps modernes est un être à la fois simple et complexe. Elle ne se réduit ni à la piété, ni à l’existentialisme. Peut-être faut-il pour la comprendre un peu de la folie de l’espérance… Arrêtons-nous pour contempler le chemin de l’espérance tel que Thérèse de Lisieux nous l’a enseigné.

Et si Thérèse répugne à quelqu’un, n’est-ce pas que secrètement il refuse de s’avouer qu’elle lui fait peur? Tout ce qu’on peut dire de sa trouvaille de génie sur la voie de l’espérance, de son providentiel témoignage au seuil de l’âge atomique, le fait même qu’elle rappelle que tous sont appelés – surtout les démunis, les faibles et les pécheurs -, tout cela n’empêche pas que sa vie de souffrance et de renoncement nous fasse secrètement peur. Nous serait-il éventuellement autant demandé? Mieux vaut peut-être ne pas savoir.

Avance, avance, réjouis-toi de la mort qui te donnera, non ce que tu espères, mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant. De qui sont ces lignes? d’un philosophe révolté? d’un personnage désespéré sorti du théâtre d’aujourd’hui? d’un drogué aspiré par le vertige du suicide?… Non, c’est Thérèse de Lisieux qui les a écrites, dans son lit, le 9 juin 1897, trois mois avant de mourir. Elle ajoutait: Je ne veux pas en écrire plus long, je craindrais de blasphémer… J’ai peur même d’en avoir trop dit. Oui, avec Thérèse, on peut s’attendre à toutes les surprises. Il est dans son témoignage une réponse qui est peut-être le plus beau cadeau qu’elle nous fasse encore aujourd’hui, la réponse à ce qui nous manque peut-être le plus. Cela porte un nom. Ce fut pour Thérèse de Lisieux le fruit d’un combat, devant la mort et jusqu’à la mort. Elle a insisté pour qu’on en parle, comme de son message. Elle a payé cher le droit d’en parler. C’est le plus beau fruit de la charité. Ce fut le don ultime que le Christ nous a laissé, devant l’abandon des hommes et devant la mort, lorsque dressé devant son Père et devant ses frères, crucifié pour nous, Il s’est écrié: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?

C’est le même cri, le même message, le même don chez sainte Thérèse: celui de l’espérance contre toute espérance, ou comme elle le dit: sa petite voie de la confiance.

Bernard Bro, Contre toute espérance / extraits (Cerf, 1975)

image: Pericle Fazzini, La Résurrection – Salle d’audience Paul VI, Vatican (bestglitz.com)

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