Jésus-Christ ou rien – 17

Jésus-Christ ou rien – XVII

Bernard Bro

Sachons bien que tous les discours sur le mal, la douleur ou la faute se rejoignent dans une littérature bien pensante capable de prendre tous les styles, laïc ou religieux, et qui ne fait que compromettre et dissoudre, dans un apaisement prosaïque, la force de la question. Or il faut maintenir la question, voire le scandale. Car il est des espèces de mal qui sont irréparables, à jamais: l’innocent avili et martyrisé; les multitudes humaines condamnées à la conscience crépusculaire qui est le lot de la servitude résignée; l’héroïsme et la sagesse tournés en dérision; à travers tous ces maux non réductibles apparaît la figure d’un Mal qui est comme l’absolu du malheur.

Il nous faut récuser toutes les réponses, fussent-elles bien pensantes, qui seraient des réponses en paroles. Toutes les réponses qui ne relèvent que de la pensée, fût-elle philosophique, théologique, dialectique ou politique. Il n’y a pas ici de réponse avec les mots. Il y a une réponse, mais elle est coûteuse. Et il n’y en a pas d’autres. Elle existe. C’est l’unique. Et toute notre vie, nous subirons l’humiliation, quelle que soit la ferveur de notre foi et de notre adoration, de nous reconnaître défaillants dans notre volonté d’être les porteurs de cette seule réponse. Elle m’écrase et me dépasse, moi le premier. Mais c’est mon rôle et mon devoir de vous dire: Quelqu’un répond, et c’est Dieu, ce ne sont pas les hommes: et il ne répond pas avec des mots, mais avec la Croix de Son Fils.

Souvenez-vous des paroles du cardinal François Marty, lorsqu’à l’occasion du trentième anniversaire de la libération des camps de la mort, il avouait à Notre-Dame de Paris: D’une telle folie collective, en vain nous cherchons encore une explication. La question reste une plaie ouverte; elle est là, douloureuse; elle est un défi. Pourquoi des hommes, nos frères, ont-ils fait tant de mal? Pourquoi?

Et le cardinal ajoutait: Ma réponse balbutiante mais assurée, je la trouve en contemplant la tête couronnée d’épines du jeune juif de trente-trois ans qui est Dieu. Il fut l’Innocent flagellé et bafoué. Il refusa de capituler devant l’injustice, la misère et la haine. A tous ceux qui acceptent d’entrer dans cette interrogation suppliante: Pourquoi, mais pourquoi Seigneur? et qui s’y maintiennent par une confiance crucifiée, à tous ceux-là, nous avons le pouvoir d’annoncer qu’en acceptant cette folie, il leur sera donné, il leur est alors donné, dès maintenant, de pressentir, de sentir que seule cette folie est bonne, que seule elle est réponse, que seule elle est salut.

Bernard Bro, Le pouvoir du mal / extraits (Cerf, 1976)

image: Pericle Fazzini, La Résurrection – Salle d’audience Paul VI, Vatican (bestglitz.com)

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