Morceaux choisis – 501 / Charles Péguy

Charles Péguy

Je comprends très bien, dit Dieu, qu’on fasse son examen de conscience. C’est un excellent exercice. Il ne faut pas en abuser. C’est même recommandé. C’est très bien. Tout ce qui est recommandé est très bien. Et même ce n’est pas seulement recommandé. C’est prescrit. Par conséquent c’est très bien.

Mais enfin vous êtes dans votre lit. Qu’est-ce que vous nommez votre examen de conscience, faire votre examen de conscience? Si c’est penser à toutes les bêtises que vous avez faites dans la journée, si c’est vous rappeler toutes les bêtises que vous avez faites dans la journée avec un sentiment de repentance, et Je ne dirai peut-être pas de contrition, mais enfin avec un sentiment de pénitence que vous offrez, eh bien, c’est bien. Votre pénitence, Je l’accepte. Vous êtes de braves gens, des bons garçons.

Mais si c’est que vous voulez ressasser et ruminer la nuit toutes les ingratitudes du jour, toutes les fièvres et toutes les amertumes du jour, et si c’est que vous voulez remâcher la nuit tous vos aigres péchés du jour, vos fièvres aigres et vos regrets et vos repentirs et vos remords plus aigres encore, et si c’est que vous voulez tenir un registre parfait de vos péchés, de toutes ces bêtises et de toutes ces sottises, non, laissez-moi tenir Moi-même le Livre du Jugement. Vous y gagnerez peut-être encore.

Laissez-moi donc faire Mon métier et ne faites pas des métiers qui n’ont pas à être faits. Vos péchés sont-ils si précieux qu’il faille les cataloguer et les classer, et les enregistrer et les aligner sur des tables de pierre, et les graver et les compter et les calculer et les compulser, et les compiler et les revoir et les repasser, et les supputer et vous les imputer éternellement, et les commémorer avec on ne sait quelle sorte de piété?

Comme nous dans le ciel nous lions les gerbes éternelles, et les sacs de prière et les sacs de mérite, et les sacs de vertus et les sacs de grâce dans nos impérissables greniers, pauvres imitateurs, allez-vous à présent vous mêler – et imitateurs contraires, imitateurs à l’envers -, allez-vous vous mettre à lier tous les soirs les misérables gerbes de vos affreux péchés de chaque jour, quand ce ne serait que pour les brûler, c’est encore trop, ils n’en valent pas la peine…

Charles Péguy, Le Mystère des saints Innocents / extrait, dans: Oeuvres poétiques et dramatiques (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 2014)

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