Chemins de traverse – 388 / Alain Mabanckou

Alain Mabanckou

Je sais à présent
que dans la forêt dense de la solitude
l’homme retrouve sa nature primitive
l’usage du feu
le dialogue avec les arbres et les plantes
la prédiction du temps et des saisons
à l’aide des brindilles de la feuille qui tombe

j’ai oublié le langage des hommes
depuis que je traque
les empreintes d’un territoire migrant

que m’importent maintenant
l’usage de la parole
les mots évidés décharnus
qui ne valent le pépiement des passereaux
la reptation d’une vipère
dans l’herbe jaunie des champs
ou l’envol maladroit d’une effraie
mais où s’arrête le chant de l’absence
sinon à l’oreille
de l’inquiétude et de l’isolement

il faudra remonter la source
porter la patience au-delà des limites
qu’impose le renoncement
dites-moi quels noms donner
aux auspices aux oracles
l’épuisement est peut-être une force
qui tergiverse sur les ailes de la foi

le passé me précède
au fur et à mesure que tombent
les fruits aoûtés des années
je ne sais quel jour nous sommes
aujourd’hui

je ne sais à quand remonte hier
de quoi sera fait demain
où sonder l’abysse du futur

je marche depuis toujours

la marche a rompu
les membres de mon obstination
sur ce sol aride qui sommeille
avec des failles profondes de dessiccation
mes ongles sont éraflés
la distance se creuse de plus en plus
à l’horizon

peut-être faudra-t-il atteindre ces dunes
pour qu’apparaissent enfin
les premières habitations d’un village
où je demanderai l’hospitalité
en attendant de reprendre la route.

Alain Mabanckou, Le livre de Boris, dans: Tant que les arbres s’enracineront dans la terre (coll. Points/Seuil, 2007)

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