Chemins de traverse – 447 / André Comte-Sponville

André Comte-Sponville

L’humilité manque parfois de simplicité, par ce redoublement de soi à soi qu’elle suppose. Se juger, c’est se prendre bien au sérieux. Le simple ne se pose pas tant de questions sur lui-même. Parce qu’il s’accepte comme il est? C’est déjà trop dire. Il ne s’accepte ni se refuse. Il ne s’interroge pas, ne se contemple pas, ne se considère pas. Il ne se loue ni se méprise. Il est ce qu’il est, simplement, sans détours, sans recherche, – car être lui paraît un trop grand mot pour une si petite existence – il fait ce qu’il fait, comme chacun d’entre nous, mais ne voit pas là matière à discours, à commentaires, ni même à réflexion. Il est comme les oiseaux de nos forêts, léger et silencieux toujours, même quand il chante, même quand il se pose. Le réel suffit au réel, et cette simplicité est le réel même. Ainsi, le simple: c’est un individu réel, réduit à sa plus simple expression. Le chant? Le chant, parfois; le silence, plus souvent; la vie, toujours.

Le simple vit comme il respire, sans plus d’efforts ni de gloire, sans plus d’effets ni de honte. La simplicité n’est pas une vertu, qui s’ajouterait à l’existence. C’est l’existence même, en tant que rien ne s’y ajoute. Aussi est-elle la plus légère des vertus, la plus transparente, et la plus rare. C’est le contraire de la littérature: c’est la vie sans phrases et sans mensonges, sans exagération, sans grandiloquence. C’est la vie insignifiante, et c’est la vraie.

Le monde est son royaume, qui lui suffit. Le présent est son éternité, qui le comble. Il n’a rien à prouver, puisqu’il ne veut rien paraître. Ni rien à chercher, puisque tout est là. Quoi de plus simple que la simplicité? Quoi de plus léger? C’est la vertu des sages, et la sagesse des saints.

André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus / extraits (coll. Points Essais/Seuil, 2014)

image: Konan Tanigami (pinterest.com)

Print Friendly, PDF & Email

Auteur/autrice

Partager sur:

Dernières publications