Jésus-Christ ou rien – 34

Jésus-Christ ou rien – XXXIV

Bernard Bro

Il n’est pas vrai que les pauvres soient bienheureux et que ceux qui pleurent aient trouvé la joie. Cela ne devient vrai que si la rencontre du Christ a lieu. Nous découvrons alors que c’est Dieu Lui-même qui a soif, soif de nous rejoindre en ce point secret où nous ne pourrons plus nous passer de Lui; soif que du fond de notre faiblesse, de notre lassitude, de notre lâcheté monte enfin en nous, plus fort dans sa fragilité même le cri de notre désir: Ah Seigneur, ne me laisse pas en repos; je T’en prie, ne cesse pas de m’appeler, d’exiger, d’attendre. Maintenant Seigneur, écoute, prends pitié, Fils de David. Comme sous l’effet d’une drogue, c’est moi maintenant qui Te supplie: Ne nous prive jamais de cette soif que Tu as déposée en nous à travers ces premières gouttes d’Eau vive.

On a cherché ce qui distingue le plus radicalement l’homme de l’animal. On a retenu trois réalités: la fabrication des outils, le langage abstrait, la mémoire et le culte des morts. Mais je crois que plus profondément encore, il y a ce que tout homme est capable de faire de sa faim. Ce qui distingue un homme d’un animal, c’est que l’homme est capable de transformer son besoin en désir. La suprême dignité d’un homme est qu’il n’est jamais condamné à chercher seulement une proie, à réduire ce qu’il atteint en objet de satisfaction. De sa faim elle-même, il peut faire un hommage alors même qu’il est rassasié. Au moment même où il possède ce qu’il désirait et ce qui lui manquait, il est capable de reconnaître que sa dépendance est source de bonheur et d’en tirer respect et hommage, dans son amour et sa possession elle-même: alors il est heureux de cette mendicité qui l’attache à ce qu’il aime.

Dieu nous invente en ce point secret où nous sommes capables de dire oui ou non à la transfiguration de notre désir. C’est là seulement que nous nous ouvrons à la commune condition de tous les hommes. C’est là que se joue la véritable solidarité. Seul celui qui refuse de s’endurcir, de se fermer ou de jouer avec son désir peut dire en vérité à tout autre homme sur terre: Regarde, comme toi j’ai eu faim et tu es mon frère.  

Bernard Bro, Jésus-Christ ou rien / extraits (Cerf, 1977)

image: Pericle Fazzini, La Résurrection – Salle d’audience Paul VI, Vatican (bestglitz.com)

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