Morceaux choisis – 196 / Charles Péguy

Charles Péguy

Il y a des jours dans l’existence
où on sent qu’on ne peut plus se contenter des saints patrons.
Soit dit sans offenser personne.
On sent que les saints patrons ne suffisent plus.

Il y a un grand danger et il faut monter plus haut.
Il vaut mieux avoir affaire au bon Dieu qu’à ses saints.

Il faut monter directement jusqu’au bon Dieu
et à la sainte Vierge.
Il y a des jours où on sent bien
que l’on ne peut plus se contenter des saints ordinaires.
Que les saints ordinaires ne suffisent plus.

Alors il faut prendre son courage à deux mains.
Et s’adresser directement à celle
qui est au-dessus de tout.
Etre hardi.
Une fois.
S’adresser hardiment à celle
qui est infiniment belle.
Parce qu’aussi elle est infiniment bonne.

A celle qui intercède.
La seule qui puisse parler avec l’autorité d’une mère.

S’adresser hardiment à celle qui est infiniment pure.
Parce qu’aussi elle est infiniment douce.
A celle qui est infiniment noble.
Parce qu’aussi elle est infiniment courtoise.
Infiniment accueillante.

Accueillante comme le prêtre
qui au seuil de l’église
va au devant du nouveau-né jusqu’au seuil.
Au jour de son baptême.
Pour l’introduire dans la maison de Dieu.

A celle qui est infiniment riche.
Parce qu’aussi elle est infiniment pauvre.
A celle qui est infiniment haute.
Parce qu’aussi elle est infiniment descendante.
A celle qui est infiniment grande.
Parce qu’aussi elle est infiniment petite.
Infiniment humble.
Une jeune mère.

A celle qui est infiniment jeune.
Parce qu’aussi elle est infiniment mère.
A celle qui est infiniment droite.
Parce qu’aussi elle est infiniment penchée.
A celle qui est infiniment joyeuse.
Parce qu’aussi elle est infiniment douloureuse.

Septante et sept fois septante fois douloureuse.
A celle qui est infiniment touchante.
Parce qu’aussi elle est infiniment touchée.
A celle qui est toute Grandeur et toute Foi.
Parce qu’aussi elle est toute Charité.

A celle qui est toute Foi et toute Charité.
Parce qu’aussi elle est toute Espérance.

Heureusement que les saints ne sont point jaloux
les uns des autres.
Il ne faudrait plus que ça.
Ça serait un peu fort.

Et ensemble heureusement qu’ils ne sont point jaloux
de la sainte Vierge.
C’est même ce qu’on nomme
la communion des saints.  

Charles Péguy, Le porche du mystère de la deuxième vertu / extrait (coll. Poésie/Gallimard, 1986)

Sandro Botticelli, La Vierge à l’enfant / détail (jmomusique.skynetblogs.be)

Print Friendly, PDF & Email

Auteur/autrice

Partager sur:

Dernières publications