Regards ignatiens – 38

Regards ignatiens – XXXVIII

Yves Raguin

Quand on a décidé de partir à la recherche de Dieu, il faut faire ses bagages, seller son âne, et se mettre en route. La montagne de Dieu est à peine visible dans le lointain. A l’aube, il faut partir. C’est un grand départ. Il faut dire adieu. A quoi? A tout et à rien. A rien, car ce monde que l’on quitte sera toujours là près de nous, en nous jusqu’au dernier souffle, toujours aussi près de nous. Etant chassé et repoussé, il a bien des chances de surgir avec plus de véhémence à l’intérieur de nous-même. A tout, car, en partant à la recherche de l’absolu, nous coupons les ponts avec tout ce qui pourrait nous en détourner, avec ce qui, en nous et dans les êtres, tend à former un corps d’opposition à l’action divine. Finalement ce qui est le plus dur à laisser, c’est ce nous-même, qui dans son besoin fondamental d’autonomie, s’oppose à Dieu.

Avant de partir, il y a quelques coups de hache et de serpe à donner. En tranchant autour de soi, on voit immédiatement que l’on tranche en soi. Mais il ne faut pas attendre d’être détaché de tout et de soi pour partir… Qu’emporter avec soi? Tout soi-même et rien de moins. Etrange réponse après avoir dit qu’il faut tout laisser et surtout se laisser soi-même. Et pourtant, c’est vrai, il faut s’emporter tout entier. Beaucoup ne partent qu’en apparence. Ils n’emportent avec eux qu’un fantôme d’eux-mêmes, une maquette abstraite. Ils se mettent eux-mêmes en sécurité avant de se mettre en route. Ils se font une personnalité artificielle, d’emprunt, construite d’après les livres et c’est cette personnalité artificielle, cette ombre d’eux-mêmes qu’ils envoient à la recherche de Dieu.

En partant, il faut mettre sur son âne, tout ce qu’on possède et partir avec tout ce qu’on est, il faut tout prendre, les grandeurs et les faiblesses, le passé de péché, les grandes espérances, les tendances les plus basses et les plus violentes, tout, tout, car tout doit passer par le feu. Tout doit être finalement intégré pour faire un être humain capable d’entrer corps et âme dans la connaissance de Dieu.

Dieu veut devant lui un être réel qui sache pleurer, crier sous l’effet de Sa grâce purifiante; Il veut un être qui sache le prix de l’amour humain et connaisse l’attrait de l’autre sexe. Il veut un être qui ressente le désir violent de Lui résister, pourquoi pas? C’est un être humain réel que Dieu veut voir devant Lui, sans quoi Sa grâce n’aura rien à transformer, l’être réel se dérobera…

Quand la décision de partir est prise et qu’on est présent, tout présent, tout soi-même pour le départ, il faut se mettre en accord total de corps et d’âme avec ce grand Corps du Christ qu’est l’Eglise, vivre avec elle, ressentir en elle les pulsations gigantesques que scande sa vie liturgique, dans ses enseignements, dans les sacrements, dans son attention constante. Là, vivant au rythme de l’Eglise, il est facile d’orienter tout son être vers le Seigneur.

Yves Raguin, Chemins de la contemplation (Desclée de Brouwer, 1969)

image: Juan Martínez Montañés et Francisco Pacheco, San Ignacio de Loyola (catholicsun.org)

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