Morceaux choisis – 653 / Pauline Bebe

Pauline Bebe

Les grands enfants que nous sommes aimons laisser des traces et ainsi nous bercer de l’illusion que le monde sera un peu différent lorsque nous le quitterons. Nous imprimons notre je en posant des pierres, en associant des mots, en sifflotant, en essayant de faire le bien autour de nous, en nous efforçant de réparer le monde – imprimer notre marque, laisser une impression, comme si le monde était un grand parchemin sur lequel nous voulions laisser notre chapitre, un mot, juste une lettre parfois, une note de musique, un trait de crayon, un sourire. Les traces sont notre mémoire et ce que nous voulons léguer à nos enfants ou à ceux qui viendront après nous sur cette terre. 

Nous désirons laisser l’empreinte de nos errances et de nos rêves, de nos amours et de nos déceptions, de nos découvertes et de nos émerveillements. Ainsi, selon l’usage talmudique, une génération pourra se tenir sur les épaules de la précédente. Et c’est aussi une manière de tromper la mort, de faire un pied de nez à la finitude, de donner un espoir à l’éternité.

Mais les traces, nous aimons aussi les effacer, passer le curseur suppression sur les ombres de notre vie, comme la gomme à fusain sur les traits d’une esquisse qui s’égarent. Et la mer efface sur le sable les pas des amants désunis (Jacques Prévert). Des traces de pas ou pas de traces. Nous sommes la mer qui nous submerge, nous surfons sur ses vagues et n’en retenons que les écumes. Peut-être que la teshouva, le retour sur soi, est ce correcteur qui efface ce dont nous ne voulons pas nous souvenir: nos amours déçues, nos petitesses, nos étroitesses, la honte de nous-mêmes, la culpabilité qui nous empêche de regarder l’autre dans les yeux et qui fait grimacer l’étincelle divine sur notre visage.

Et heureusement, notre disque dur a une capacité de mémoire limitée et si nous avons la mémoire qui flanche, c’est parfois une bénédiction. Nous choisissons nos souvenirs, nous réécrivons notre histoire en ne retenant que les traits de lumière, et l’ombre est parfois bien nécessaire pour les souvenirs trop douloureux! Le hassid ne nous dit-il pas: Vos vies sont comme des palimpsestes, n’écrivez sur eux que ce que vous souhaitez que l’on retienne.

Pauline Bebe, A la lumière de ton visage (Actes Sud, 2014)

image: http://ninette297.unblog.fr

Print Friendly, PDF & Email

Auteur/autrice

Partager sur:

Dernières publications

Les signes de Jésus – IX

Les signes de Jésus – IX mis à jour – 2015 A leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment

Print Friendly, PDF & Email