Morceaux choisis – 671 / Anselme de Cantorbéry

Anselme de Cantorbéry

Coeur de l’homme, coeur ignorant des véritables joies, cœur habitué à la souffrance et fait à la douleur, de quelles délices tu serais rempli si tu pouvais te plonger dans cet océan de voluptés! Examine-toi, sonde ta profondeur, et vois si tu pourrais contenir tant de joies, suffire à tant de bonheur!

Mais, ô faible mortel! si un de tes frères, que tu aimerais comme toi-même, possédait aussi cette ineffable béatitude, ton bonheur serait encore doublé par le sien; car tu jouirais autant de sa félicité que de la tienne. Et, si un grand nombre de tes frères, au lieu d’un seul, obtenaient également ce souverain bien, tu jouirais aussi de la félicité de chacun d’eux autant que de la tienne, en supposant que tu aimes chacun d’eux comme toi-même.

Ainsi donc, grâce à ce lien d’amour et de sympathie réciproque qui unira, dans l’autre vie, les légions innombrables des anges et des élus, tons jouiront de la félicité de tous autant que de leur félicité propre, et le bonheur de chacun sera multiplié sans fin et sans mesure. 

Si donc le cœur de l’homme est à peine capable de contenir les joies immenses dont le remplira sa propre béatitude, comment pourra-t-il contenir celles dont l’inonderont tant d’autres béatitudes ajoutées à la sienne? Or on jouit d’autant plus du bonheur d’autrui qu’on aime davantage sa personne; et comme, dans cet état de béatitude où les justes parviendront un jour, chacun d’eux aimera incomparablement plus Dieu que soi-même et que tous les autres élus avec soi, il jouira aussi incomparablement plus de la félicité de Dieu que de la sienne propre et que de celle de tous les autres élus ajoutée à la sienne.

Anselme de Cantorbéry, Proslogion (coll. GF/Flammarion, 1993)

image: mage: Joseph Mallord William Turner, Seascape with Distant Coast / 1840 (gerryco23.wordpress.com)

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