Chemins de traverse – 993 / Paul Eluard

Paul Eluard

Je t’aime pour toutes les femmes que je n’ai pas connues 
Je t’aime pour tous les temps où je n’ai pas vécu 
Pour l’odeur du grand large et l’odeur du pain chaud 
Pour la neige qui fond pour les premières fleurs 
Pour les animaux purs que l’homme n’effraie pas 
Je t’aime pour aimer 
Je t’aime pour toutes les femmes que je n’aime pas 

Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu 
Sans toi je ne vois rien qu’une étendue déserte 
Entre autrefois et aujourd’hui 
Il y a eu toutes ces morts que j’ai franchies sur de la paille 
Je n’ai pas pu percer le mur de mon miroir 
Il m’a fallu apprendre mot par mot la vie 
Comme on oublie 

Je t’aime pour ta sagesse qui n’est pas la mienne 
Pour la santé 
Je t’aime contre tout ce qui n’est qu’illusion 
Pour ce coeur immortel que je ne détiens pas 
Tu crois être le doute et tu n’es que raison 
Tu es le grand soleil qui me monte à la tête 
Quand je suis sûr de moi.

Paul Eluard, Je t’aime, dans: Le Phénix (Seghers, 1954)

image: Willy Ronis, Les amoureux de la Bastille (polkamagazine.com)

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