Yves Raguin
Chemins de la contemplation – XXXVI
Dans le monde des âmes, le saint participe à la charité divine. Il n’est pas d’âme qui ne lui soit présente, pas d’âme qui n’ait part en lui et par lui aussi au mystère de la miséricorde et de l’amour de Dieu. Nous serions stupéfaits si nous pouvions voir quelle est l’action des saints dans le monde. Ce que quelques-uns ont réalisé aux yeux de tous, comme Thérèse de l’Enfant-Jésus et tant d’autres avant elle qui ont été les grands saints populaires pendant des générations et des siècles, tous les saints le font sans que les hommes le sachent. Ce sont eux qui soutiennent le monde des âmes, qui rendent courage à ceux qui désespèrent, qui réorientent vers Dieu les âmes qui s’en étaient détournées. Ces êtres que l’on regarde trop souvent comme des séparés, sont les plus proches de tous les êtres. Ils nous sont proches par l’intérieur, c’est pourquoi ils semblent être des absents.
Le grand problème pour celui à qui Dieu demande de se vouer à Lui et de renoncer à un amour humain, est d’aimer d’un amour vrai ceux que Dieu met près de lui, et ceux qu’Il lui envoie, sans que cet amour paraisse être la simple dispensation d’une compassion inattentive, qui s’intéresse plus à son acte qu’à Celui à qui il s’adresse. Si l’amour humain est un don de soi qui force à aimer l’autre pour lui, combien plus l’amour de Dieu doit-il apprendre à aimer les autres pour eux-mêmes, tels qu’ils sont, dans leurs misères et leurs espérances. Le saint peut aimer tout homme, et tout homme peut trouver en lui un être qui le comprend.
Tout ce que le monde lui apporte, il le reçoit comme témoignage de l’amour divin. Il voit la vie divine à l’oeuvre dans tout ce qui existe. Il voit bien que la création entière est en gestation d’un monde nouveau qui trouvera son achèvement en Dieu. L’homme est le grand artisan de cette nouvelle naissance. C’est pourquoi le saint n’est pas pour prêcher l’abstention dans ce monde qui a besoin de lui pour s’achever. S’il a paru se retirer du courant du monde, le voici qui réapparaît dans ses profondeurs.
Yves Raguin, Chemins de la contemplation (Desclée de Brouwer, 1969)
image: Carmel du Pâquier, Suisse (2017)