Chemins de traverse – 3 / Charles Péguy

Charles Péguy

Nous ne demandons pas que le grain sous la meule
Soit jamais replacé dans le cœur de l’épi,
Nous ne demandons pas que l’âme errante et seule
Soit jamais reposée en un jardin fleuri.

Nous ne demandons pas que la grappe écrasée
Soit jamais replacée au fronton de la treille,
Et que le lourd frelon et que la jeune abeille
Ne revienne jamais se gorger de rosée.

Nous ne demandons pas que la rose vermeille
Soit jamais replacée aux cerceaux du rosier,
Et que le paneton et la lourde corbeille
Retournent vers le fleuve et redeviennent osier.

Nous ne demandons pas que le pli de la nappe
Soit effacé avant que revienne le maître,
Et que votre servante et qu’un malheureux être
Soient libérés jamais de cette lourde chape.

Nous ne demandons pas que cette auguste table
Soit jamais resservie, à moins que pour un Dieu,
Mais nous n’espérons pas que le grand connétable
Chauffe deux fois ses mains vers un si maigre feu.

Nous ne demandons pas qu’une âme fourvoyée
Soit jamais replacée au chemin du bonheur.
O reine, il nous suffit d’avoir gardé l’honneur
Et nous ne voulons pas qu’une aide apitoyée

Nous remette jamais au chemin de plaisance,
Et nous ne voulons pas qu’une amour soudoyée
Nous remette jamais au chemin d’allégeance,
O seul gouvernement d’une âme guerroyée,

Régente de la mer et de l’illustre port
Nous ne demandons rien dans ces amendements
Reine, que de garder sous vos commandements
Une fidélité plus forte que la mort.

Charles Péguy, Les Tapisseries de Notre-Dame, dans: Les tapisseries, précédé de Sonnets, Les sept contre Thèbes, Châteaux de Loire (coll. Poésie/Gallimard, 1992)

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