Chemins de traverse – 333 / Nicolas Machiavel

Nicolas Machiavel

On peut dire généralement des hommes qu’ils sont ingrats, inconstants, dissimulés, tremblants devant les dangers et avides de gain; que, tant que vous leur faites du bien, ils sont à vous, qu’ils vous offrent leur sang, leurs biens, leur vie, leurs enfants, tant, comme je l’ai déjà dit, que le péril ne s’offre que dans l’éloignement; mais que, lorsqu’il s’approche, ils se détournent bien vite. Le prince qui se serait entièrement reposé sur leur parole, et qui, dans cette confiance, n’aurait point pris d’autres mesures, serait bientôt perdu; car toutes ces amitiés, achetées par des largesses, et non accordées par générosité et grandeur d’âme, sont quelquefois, il est vrai, bien méritées, mais on ne les possède pas effectivement; et, au moment de les employer, elles manquent toujours. Ajoutons qu’on appréhende beaucoup moins d’offenser celui qui se fait aimer que celui qui se fait craindre; car l’amour tient par un lien de reconnaissance bien faible pour la perversité humaine, et qui cède au moindre motif d’intérêt personnel; au lieu que la crainte résulte de la menace du châtiment, et cette peur ne s’évanouit jamais.

Nicolas Machiavel, Le prince  (coll. Livre de poche/LGF, 2000)

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