Chemins de traverse – 871 / Luigi Santucci

Luigi Santucci

Je me suis souvent demandé ce qui a poussé mon moi à faire ce métier d’écrivain. Quand j’y songe, je me dis que si je devais synthétiser dans une expression, une formule, ma manière d’avoir été un écrivain, je crois que ce serait: j’écris pour louer. Oui, je suis, et je le suis devenu de plus en  plus ces derniers temps, un louangeur. Vous vous rappelez la confraternité médiévale? Seulement, eux, ils louaient Dieu, la Madone, les saints. Moi, j’ai loué, j’ai cherché à applaudir, à ressusciter dans la louange, le plus de choses que j’ai pu. Même la vieillesse, qui, vous vous rappelez, ne m’a jamais été sympathique ni agréable. Ecrire pour louer. Donc, une littérature inadmissible, c’est sûr, dans des années comme les nôtres où presque tout est disqualifié comme négatif, comme méprisable, comme le contraire de digne de louange.

La louange, oui, comme message, comme langage, sinon pour sauver le monde, ou le guérir (il faut autre chose!), du moins pour l’aider, pour qu’il renoue avec une estime de soi, une confiance en soi; pour qu’il sorte du mépris de soi, du désespoir, et qu’il retrouve l’amabilité. Chacun, d’abord, l’amabilité de lui-même; et à partir d’elle, celle des autres, des choses. Aime le prochain comme toi-même. Donc, nous aimer, nous estimer nous-mêmes et nous apprécier suffisamment est un devoir, et même un devoir biblique. Car sans un certain enthousiasme à notre égard, il est presque impossible d’aimer les autres, on risque au contraire d’introduire chez les autres nos déséquilibres, nos poisons, notre scepticisme ou même notre pessimisme sur l’humanité.

Donc, dans tout ce long propos que je vous tiens, et qui touche à sa fin, j’ai voulu vous confirmer – pour que vous en soyez réconfortés – que ma vie a été cela: remplie de bonheurs, de privilèges, où la joie, je peux le dire, l’a emporté sur la douleur. Et que tout ce que j’ai cru, j’en ai profité, grâce, je pense, à ma nature de poète, j’en ai profité (c’est très important) avec conscience.

Cet ensemble de choses – de présences surtout, de proximités, de grâces – m’a permis de me décharger de mon taux de pessimisme. Tous, nous avons en nous un certain taux de pessimisme… mais on peut en triompher par des choses fortes et positives: des engagements de l’esprit, des émotions poétiques, la faculté de se souvenir, et surtout l’enthousiasme d’aimer.

Luigi Santucci, Fragments d’un autoportrait (Ultime parole ai figli) / extrait, dans: Ton prochain (Editions Conférence, 2021)

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