Morceaux choisis – 232 / Augustin d’Hippone

Augustin d’Hippone

Pour te faire bien saisir la différence qui se trouve entre la crainte que chasse la charité parfaite, et la crainte pure qui demeure éternellement, je ne saurais employer une comparaison plus juste que celle-ci: Supposé deux femmes mariées. L’une veut commettre l’adultère, se complaire dans le mal, mais elle craint d’être réprouvée par son époux. Elle craint son époux, mais elle le craint parce qu’elle aime encore le mal; loin d’être agréable à une telle personne, la présence de son mari lui est importune; et si, par hasard, elle se conduit mal, elle redoute de le voir revenir. Tels sont ceux qui craignent de voir venir le jour du jugement.

L’autre aime son mari; elle lui réserve de chastes baisers; elle ne se laisse pas effleurer par les souillures de l’adultère; elle souhaite la présence de son époux. Comment distinguer la crainte de la première de ces deux femmes, d’avec la crainte de la seconde? Toutes deux éprouvent le sentiment de la crainte. Interroge-les, elles te font une réponse presque identique. Adresse à l’une d’elles cette question: Crains-tu ton époux? Elle te répond: Oui, je le crains. Fais à l’autre la même question: Crains-tu ton mari? Elle te fera la même réponse: Oui, je le crains. Mêmes paroles, mais dispositions intérieures bien différentes! Demande-leur maintenant: Pourquoi craindre ton époux? La première répond: Je crains de le voir venir; et l’autre: Je crains de le voir s’éloigner. Celle-là dit: J’ai peur d’être condamnée; et celle-ci: J’ai peur d’être délaissée. Suppose pareille chose dans le coeur des chrétiens, et tu y rencontres soit la crainte que chasse la charité parfaite, soit la crainte pure qui demeure éternellement.

Saint Augustin, Commentaire de la première Epître de Saint Jean (coll. Sources chrétiennes/Cerf, 1984)

image: Rembrandt, La fiancée juive / détail  (didierlong.com)

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