Morceaux choisis – 1137 / Paul Claudel

Paul Claudel

Le soleil quand on veut l’envisager éblouit,
la cloche qu’on entend de trop près rend sourd.
Il n’y a chose si belle qu’on puisse la regarder autrement
qu’un temps bien court,
comme le vers sur le papier
que le blanc interrompt par intervalles,
et comme l’idée qui pour reprendre vers le but
avec toute la force originale a besoin
que d’autres idées l’une sur l’autre la préparent
et lui rendent cet élan une seconde qui emporte tout!

Ainsi après la grande acclamation pour commencer
qui s’empare du ciel et de la terre,
ces espèces de cris coup sur coup:
c’est Vous, c’est moi, je Vous loue, je Vous bénis,
je Vous glorifie, je Vous aime, je Vous rends grâce, Seigneur,
non pas à cause de moi, mais à cause de Vous-même!
Et non pas seulement parce que Vous êtes nécessaire,
mais parce que c’est beau d’être dans cet iris
autour de l’immense déploiement de Votre soleil
moi-même cette parcelle de feu et d’eau! 

Loué soit Dieu
qui ne nous a pas permis d’être rien de continu!
Et qui de ce Souffle qu’il a déposé
en ce vide qui nous constitue
nous a forcé de faire une parole vers Lui
et nous rouvre inépuisablement
pour célébrer Cela qui Est le recours à notre néant!

Ah, comme c’est donc fragile, un être humain!
et comme c’est touchant,
cette voix aveugle qui veut voir
et qui est forcée de s’interrompre à tout moment!
Et nous savons que de toute façon
Votre grandeur surpasse notre rusticité,
et que c’est seulement pour nous faire plaisir,
et d’ailleurs pour notre utilité,
que Vous avez fabriqué ce beau soleil dans le ciel
comme une lampe qui pend au bout d’un fil.
mais il y a de nous à Vous sans la voix
des chemins plus secrets et plus difficiles.

Le désir insatiable sans rien, c’est pour nous,
la misère, c’est pour nous!
la mort, c’est pour nous!
C’est nous qui sommes capables d’avoir faim,
ce n’est pas vos Anges!
Cette chose seule nous est commune à Vous et à nous,
et ce lien directement au travers de tous vos Anges! 

Celui pour qui tout au monde est fini
et qui n’a plus de paroles pour chanter,
il se tait, mais son coeur bat,
et le Père l’écoute respirer,
Et quand la douleur est trop grande
et que l’on est forcé de reprendre haleine,
c’est Dieu même qu’on appelle l’Esprit bouche à bouche
qui entre dans la poitrine humaine!

Quand l’être que nous aimons disparaît,
ce n’est pas lui qui meurt seulement.
C’est ce monde habituel qui fane
et qui perd pour nous saveur et sens;
lui, pour nous rendre ce que sa perte révèle
et ce que sa présence nous cachait,
ce ne serait pas assez pour nous qu’il revînt tel qu’il était.

Ainsi ces matins dorés et diaprés et brillants,
pleins de choses amusantes qui bougent,
suffisent tels quels à l’enfant.
mais celui que l’amour simplifie
et que la mort a une fois enseigné,
ce n’est pas la peine de lui rendre ce qu’il aime,
si c’est la même chose encore 
capable de lui échapper…

Paul Claudel, La Messe là-bas (Gallimard, 1919)

image: Grindelwald, Canton de Berne / Suisse (2004)

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