Chemins de traverse – 883 / Henry Miller

Henry Miller

En tant qu’être humain tourniquant au crépuscule, à l’aube, à d’étranges, à d’impossibles heures, la sensation d’être seul et unique de mon espèce me donne une telle force que, lorsque je marche dans la foule et semble n’être plus un homme, mais un simple grain de poussière, ou un crachat, je me mets à penser à moi-même comme si j’étais tout seul dans l’espace, être solitaire entouré par les plus magnifiques rues désertes qui soient, bipède humain qui déambule entre les gratte-ciel, après la fuite de tous les habitants, et je suis seul, je marche, je chante, je commande à la terre. Je n’ai pas besoin de chercher dans la poche de mon gilet pour trouver mon âme ; elle est là tout le temps, cognant contre mes côtes, à se gonfler du souffle de mes chansons. Si je venais de quitter une assemblée où l’on eût décrété que tout serait mort au moment où je déambulerais dans les rues, seul et identifié à Dieu, je saurais bien que c’est là un mensonge. Lorsque chaque chose est pleinement vécue jusqu’au bout, il n’y a pas de mort ni de regrets, pas plus qu’il n’y a de faux printemps; chaque moment vécu fait s’ouvrir un horizon plus vaste et plus large, dont la seule issue est la vie.

Henry Miller, Printemps noir (coll. Folio/Gallimard, 2017)

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